Despersonnes vivants viennent habiter l’espace vertical le temps d’un spectacle et insuffler aux murs leur propre histoire en mouvement. Une chorĂ©graphie originale inspirĂ©e par les reliefs, rĂ©vĂ©lant la beautĂ© singuliĂšre de l’édifice. DurĂ©e : 40 minutes. Lieu : Devant l'Ă©glise de Mont Dauphin. www.lestetesbeches.com. Abonnezvous. Des groupes qui s’amusent et qui partagent, des sons ensoleillĂ©s, des rythmes qui donnent envie de danser les pieds dans le sable. Pour la 22Ăš Ă©dition des Estivales 1DEp. Comment les chrĂ©tiens doivent-​ils considĂ©rer la danse ? LE NEW YORK TIMES publia rĂ©cemment la dĂ©claration suivante “ Les habituĂ©s des cafĂ©s qui ont ignorĂ©, pendant des annĂ©es, le rock’n’roll, ont adoptĂ© soudain, grĂące au dĂ©veloppement manifeste de l’hypnose des masses, l’engouement des moins de vingt ans. ” “ L’élite des gens du monde et les cĂ©lĂ©britĂ©s du théùtre ont dĂ©couvert une danse voluptueuse, appelĂ©e le twist, exĂ©cutĂ©e en se balançant et en se trĂ©moussant, et ils s’y adonnent comme les convertis Ă  une nouvelle sorte de vaudou. ”⁠1 Un “ twist vaudou ” ritualiste se danse Ă  Berlin-Ouest car la danse, aprĂšs avoir fait fureur Ă  New York, s’est rĂ©pandue en Angleterre, en France et dans d’autres pays. Au cours des derniĂšres annĂ©es, peu d’engouements pour la danse ont provoquĂ© plus de discussions, soulevĂ© plus de controverses. Mais les danses apparaissent et passent de mode. La danse qui sera en vogue demain peut ĂȘtre absolument diffĂ©rente de celle qui est Ă  la mode aujourd’hui. Quel sera donc le point de vue du chrĂ©tien Ă  l’égard de la danse, Ă©tant donnĂ© surtout les frĂ©quents changements qu’elle subit dans son exĂ©cution ? LA DANSE BIENSÉANTE N’EST PAS CONDAMNÉE Les saintes Écritures ne condamnent pas carrĂ©ment la danse en elle-​mĂȘme. Quand la dĂ©sapprobation divine frappait les danseurs, comme dans le cas des IsraĂ©lites dansant devant un veau d’or, ce qui Ă©tait mal, c’était l’idolĂątrie intimement liĂ©e Ă  la danse, bien qu’une certaine indĂ©cence ait pu s’introduire dans son exĂ©cution. Une danse de ce genre attirait le dĂ©shonneur sur JĂ©hovah. — Ex. 321-35. Dans l’ancien IsraĂ«l, la danse Ă©tait exĂ©cutĂ©e ordinairement par les femmes, surtout Ă  l’occasion de victoires remportĂ©es sur les ennemis de JĂ©hovah. Une telle danse Ă©tait une expression de reconnaissance Ă  Dieu, une expression de joie Ă  l’occasion de sa victoire, toute Ă  sa gloire. AprĂšs le triomphe de JĂ©hovah sur Pharaon et son armĂ©e dans la mer Rouge, Marie, la sƓur de MoĂŻse, prit la tĂȘte des femmes qui vinrent “avec des tambourins et en dansant ”. AprĂšs que David, aidĂ© par Dieu, eut vaincu les Philistins paĂŻens, “ les femmes sortirent de toutes les villes d’IsraĂ«l ..., en chantant et en dansant ”. Quand, grĂące Ă  Dieu, JephthĂ© eut remportĂ© la victoire sur les Ammonites, sa fille sortit au-devant de lui “ avec des tambourins et des danses ”. Quand l’arche de l’alliance de JĂ©hovah fut amenĂ©e dans la ville de David, le roi exprima lui-​mĂȘme sa joie en “ dansant de toute sa force devant JĂ©hovah ”. — Ex. 1520 ; I Sam. 186 ; Juges 1134 ; II Sam. 614, AC. Les Écritures emploient souvent le mot “ danse ” pour souligner la joie ou l’allĂ©gresse, comme dans le Psaume 3012 JĂ© 3011, NW “ Pour moi tu as changĂ© le deuil en une danse. ” Qu’en est-​il des Écritures grecques chrĂ©tiennes ? Nous n’y trouvons aucune condamnation de la danse en elle-​mĂȘme. En fait, JĂ©sus-Christ prononça une parabole qui introduit la danse dans un certain jour de fĂȘte. Au retour de son fils prodigue, le pĂšre se rĂ©jouit et prĂ©para une fĂȘte au cours de laquelle on dansa “ Le fils aĂźnĂ© Ă©tait dans les champs. Lorsqu’il revint et approcha de la maison, il entendit la musique et les danses. ” Luc 1525. Il est Ă©vident que le Fils de Dieu ne condamna pas la danse en elle-​mĂȘme ; autrement il n’en aurait pas parlĂ© comme faisant partie d’une fĂȘte, digne d’ĂȘtre cĂ©lĂ©brĂ©e. En outre, de nombreuses danses mettent en valeur la beautĂ© de la forme et de la dĂ©marche et, Ă  cause de leur charme incontestable, sont agrĂ©ables Ă  regarder. Le mouvement rythmique des pieds et du corps n’est pas mal en soi. Une encyclopĂ©die religieuse dit “ La danse juive Ă©tait exĂ©cutĂ©e par les sexes sĂ©parĂ©ment ... en des groupes distincts et sĂ©parĂ©s. ” Alors, comment un chrĂ©tien doit-​il considĂ©rer la danse moderne ? Dans sa Parole Ă©crite, Dieu a consignĂ© certains commandements et principes qui doivent guider le chrĂ©tien dans toutes ses voies. Par consĂ©quent, le chrĂ©tien a un guide pour dĂ©terminer si une danse particuliĂšre ou la façon dont elle s’exĂ©cute est biensĂ©ante ou non. Quand une nouvelle danse apparaĂźt, comment un chrĂ©tien dĂ©terminera-​t-​il s’il est convenable ou non pour lui d’y participer ? FACTEURS DÉTERMINANTS Tout d’abord, renseignez-​vous pour savoir ce que cette danse est au juste. Quels mouvements entrent dans son exĂ©cution ? Comment est-​elle dĂ©crite par les observateurs, dans les journaux et les revues ? S’il est possible de remonter Ă  son origine et d’en suivre l’évolution, la recherche peut vous apprendre bien des choses. ContrĂŽlez ce que vous avez appris Ă  l’aide des principes bibliques. Voici un exemple Supposez qu’un jeune adulte ou un des parents ait entendu parler du twist et dĂ©sire savoir si cette danse convient Ă  un chrĂ©tien. Eh bien ! Observez la description que l’on en fait. Il y a des chances pour que vous trouviez de frĂ©quents commentaires dans les journaux, un de ce genre peut-ĂȘtre “ Le twist, issu d’une danse appelĂ©e le Madison qui apparut il y a un certain nombre d’annĂ©es Ă  Philadelphie, est une danse rythmique, qui secoue les Ă©paules, fait se tortiller les hanches, et dans laquelle les partenaires synchronisent leurs mouvements mais ne se touchent pas. ”⁠1 Une revue amĂ©ricaine populaire, consacrant quelques pages Ă  la danse, dĂ©clara “ Au rythme marquĂ© de la chanson, les partenaires se balancent d’avant en arriĂšre sur la demi-pointe des pieds tout en tortillant frĂ©nĂ©tiquement les hanches. ”⁠2 Si la presse locale ne jetait que peu de lumiĂšre sur la question, on pourrait trouver Ă  la bibliothĂšque municipale des ouvrages discutant les nouvelles tendances. Ainsi, si l’on ouvrait le Book of the Year l’Annuaire britannique de 1962, on trouverait plusieurs commentaires, entre autres, celui-ci “ Au cours de 1961, on assista Ă  la renaissance de deux danses pour les moins de vingt ans le twist et le fish. Plusieurs ecclĂ©siastiques des États-Unis les condamnĂšrent publiquement. En automne dernier, le twist en particulier a pris soudain le caractĂšre d’une passion de la part des grands ... Il s’exĂ©cute avec le minimum de mouvement des pieds et le maximum de girations du corps. ” De nombreuses chroniques sont de nature Ă  fournir des renseignements sur l’origine d’une nouvelle danse ; il en est ainsi pour le twist. Par exemple, la revue Time fit paraĂźtre le commentaire suivant “ Le twist Ă©tait au dĂ©but une danse assez innocente ; depuis il a Ă©tĂ© abandonnĂ©, en grande partie, pour des raffinements comme “ le roach ” et “ le fly ”. Mais les jeunes personnes dans une certaine boĂźte de nuit new-yorkaise ont fait renaĂźtre le twist et l’ont parodiĂ© en imitant un certain rite tribal de la pubertĂ©. Les danseurs ne se touchent presque pas ou remuent Ă  peine leurs pieds. Cependant, tout le reste bouge. La partie supĂ©rieure du corps se balance d’avant en arriĂšre, les hanches et les Ă©paules se tortillent Ă©rotiquement, tandis que les bras reviennent en arriĂšre, s’allongent, se lĂšvent, se baissent. ”⁠3 Cette boĂźte de nuit avec son twist modifiĂ©, expliqua plus loin le mĂȘme article, “ aurait bien pu rester un simple divertissement de luxe pour les gens du centre de la ville ” si un directeur de journal ne l’avait rendue populaire auprĂšs des habituĂ©s des cafĂ©s. Ainsi qu’avez-​vous appris sur cette danse ? Cet exemple nous a montrĂ© que l’engouement qu’elle suscite concerne surtout les girations du corps, que les mots servant Ă  la dĂ©crire sont “ frĂ©nĂ©tique ”, “ voluptueuse ” et “ Ă©rotique ”. Vous avez appris aussi quel genre de personnes l’ont fait Ă©voluer et qu’elle est essentiellement une imitation de quelque danse de tribu paĂŻenne comprenant des gestes de nature suggestive quant au sexe. Maintenant, quels principes et commandements bibliques Ă©claireront les faits que vous avez appris ? Si vous l’ignorez, interrogez un chrĂ©tien mĂ»r. Ou bien utilisez l’Index des Publications de la SociĂ©tĂ© Watch Tower qui vous guidera dans votre recherche. Vous dĂ©couvrirez une quantitĂ© de principes. Par exemple, la danse en question favorise-​t-​elle une sainte conduite ? La Parole de Dieu dĂ©clare “ Soyez saints dans toute votre conduite. ” Elle s’exprime nettement contre “ les besoins immodĂ©rĂ©s de plaisirs sensuels voluptĂ©s, Da ”. Elle nous met en garde contre la “ conduite honteuse ” et “ les choses qui ne sont pas biensĂ©antes ”. Elle exige la modestie des femmes chrĂ©tiennes. Il est dit aux chrĂ©tiens de considĂ©rer et de pratiquer ce qui est “ pur ”. — I Pierre 115 ; Jacq. 41, NW ; Éph. 54, NW ; Phil. 48 ; I Tim. 29. Maintenant, interrogez-​vous La danse que vous avez Ă  l’esprit est-​elle Ă  la hauteur de ces exigences scripturales ? Vous devriez ĂȘtre Ă  mĂȘme de prendre la bonne dĂ©cision. QU’EST-​CE QUI EST MIS EN VALEUR ? De nombreuses danses mettent en valeur une sorte de pas modĂšle accompagnĂ©e de gracieux mouvements du corps. Mais certaines danses n’ont guĂšre de rapport avec la sorte de pas et le mouvement des pieds, elles soulignent le mouvement du corps qui peut ĂȘtre ou non Ă©rotique. Certaines danses de tribus et peuples primitifs ont pour objet d’exciter les instincts sexuels. Les CananĂ©ens avaient les danses de la fertilitĂ©. Des danses analogues Ă©taient exĂ©cutĂ©es dans les anciennes bacchanales, qui servaient de prĂ©textes Ă  l’immoralitĂ©. Dans son livre World History of the Dance, Curt Sachs, exprime la conviction que “ les danses des hanches et du ventre ” en des endroits comme les Mers du Sud ont “ uniquement pour objet l’excitation sexuelle. Mais Ă  l’origine le but Ă©tait magique les mouvements coĂŻtaux, comme toutes les autres excitations sexuelles, favorisent la vie et la croissance ”. Si une danse moderne est une imitation des gestes Ă©rotiques de quelque danse paĂŻenne, alors les principes scripturaux l’interdisent au chrĂ©tien. Le mouvement vigoureux en soi n’est pas le facteur dĂ©terminant ; la polka, trĂšs rythmĂ©e, n’est pas nĂ©cessairement Ă©rotique. Le fait que les partenaires se touchent n’est pas non plus le seul facteur dĂ©terminant. Le contact physique n’est pas indispensable pour que les passions s’éveillent. Les mouvements des danseurs peuvent faire naĂźtre en les spectateurs des pensĂ©es basses et allumer des sentiments passionnĂ©s. Ainsi, quand une danse moderne insiste sur le tortillement des hanches et le balancement des seins chez les femmes, il est bien de se rendre compte que ce n’est pas lĂ  une conduite modeste, que ce genre d’exercice est exĂ©cutĂ© par les peuples primitifs dans diffĂ©rentes parties du monde dans leurs danses de la fertilitĂ©. Le chrĂ©tien peut ĂȘtre sĂ»r que cette danse produit sur les habitants de sa rĂ©gion le mĂȘme effet que sur les peuples primitifs. Il se peut que les chrĂ©tiens goĂ»tent un certain plaisir Ă  danser ; mais, quand ils voient que la danse en vogue dans le vieux monde est suggestive quant au sexe mouvement puissamment Ă©rotique des seins et des hanches, alors ils l’évitent au lieu de se sentir obligĂ©s de suivre la foule. Il en est qui riront de vous parce que vous ne marchez pas de pair avec la foule mais, ce qui compte, c’est d’avoir une bonne conscience envers Dieu. — I Pierre 43, 4. QUELLE EST LA RENOMMÉE DE LA DANSE ? L’apĂŽtre Paul dit aux chrĂ©tiens de s’attacher Ă  “ toutes les choses qui sont de bonne renommĂ©e ”. Phil. 48, Da. Ainsi, en dĂ©terminant si une danse est biensĂ©ante ou non pour le chrĂ©tien, renseignez-​vous au sujet de sa renommĂ©e. La bonne sociĂ©tĂ© de ce monde ou les jeunes excentriques approuveront peut-ĂȘtre une danse, mais nous ne pouvons ĂȘtre guidĂ©s par ceux-lĂ  qui rejettent toute contrainte et donnent la premiĂšre place Ă  la prĂ©tendue “ libertĂ© sexuelle ”. Quel est donc le sentiment de la communautĂ© ? Et, plus particuliĂšrement, quel est le sentiment de votre assemblĂ©e religieuse ? Comment seriez-​vous considĂ©rĂ© si vous la dansiez ? Si l’on voulait connaĂźtre la renommĂ©e du twist tel que l’a rendu populaire une boĂźte de nuit new-yorkaise, on pourrait lire un article du genre de celui qu’écrivit Geoffrey Holder, un danseur nĂ© Ă  Trinidad, qui dĂ©clara “ Le twist ? Je ne prends pas part Ă  cette danse. Elle est malhonnĂȘte ... C’est la synthĂšse du plaisir sexuel transformĂ© en sport pour le spectateur malade ... La danse de sociĂ©tĂ© n’eut jamais pour objet de fournir de la vigueur au spectateur qui en manque. Quand elle est destinĂ©e Ă  le faire, prenez-​y garde ! ... Quand Antony Tudor voulut poser son hĂ©ros en favori du sexe et symbole phallique dans la Colonne de feu, il sortit et dansa le twist, pendant quelques secondes, pour crĂ©er le personnage ... DĂšs le commencement des temps, la maniĂšre classique de montrer la puissance du mĂąle, la vigueur sexuelle, a Ă©tĂ© le mĂȘme mouvement du bassin. Dans les danses de la fertilitĂ© africaine, vous la voyez toujours nue. Vraiment. ”⁠4 Toutefois, vous n’avez nul besoin d’articles spĂ©ciaux pour avoir une idĂ©e de la renommĂ©e d’une danse. Quelques entrefilets, trĂšs courts, disent bien des choses. Par exemple “ La ville de Tampa a inaugurĂ© l’annĂ©e 1962 par l’interdiction du twist, un nouveau pas de danse, dans ses salles de rĂ©crĂ©ation. ”⁠5 “ Les moralistes discutĂšrent la question de la danse pour savoir si elle Ă©tait biensĂ©ante. Dans sa chronique, Elsa Maxwell confia que la princesse Olga de Yougoslavie s’était rangĂ©e Ă  son opinion, au bal polonais, que le twist ne devrait pas ĂȘtre dansĂ© dans les lieux publics. ” “ La Maison Blanche a fermement dĂ©menti aujourd’hui la nouvelle que le prĂ©sident Kennedy ou quelqu’un d’autre aurait dansĂ© le twist lors d’une soirĂ©e qui y fut organisĂ©e. ”⁠7 “ La nouvelle danse, le twist, a Ă©tĂ© interdite dans la Roseland Dance City New York. À notre avis, ce n’est pas une danse pour salle de bal, d’aprĂšs Lou Brecker, qui fonda la salle de bal du quartier du théùtre, en 1919. Elle manque de vraie grĂące. ”⁠8 Les moyens d’information de votre rĂ©gion peuvent contenir aussi des lettres adressĂ©es aux rĂ©dacteurs de journaux, lettres rĂ©vĂ©lant bien des choses sur les pensĂ©es des gens, comme dans l’exemple suivant “ EspĂ©rons que les jeunes et moins jeunes corps de nos danseurs sont trompeurs, que leur esprit ne se comporte pas intĂ©rieurement comme leurs bassins et leurs pectoraux le font au dehors. ”⁠9 Ainsi, mĂȘme s’il est possible Ă  un chrĂ©tien de prendre part Ă  une danse avec une bonne conscience devant Dieu du fait que son motif n’est pas mauvais, cette condition ne suffit pas. Il doit considĂ©rer l’effet produit sur le spectateur. Celui-ci sait ce qui se passe dans son propre esprit quand il regarde une danse sensuelle et il prĂ©sume que les mĂȘmes pensĂ©es traversent l’esprit du danseur. Le fait de dire “ Mon esprit et ma conscience sont claires ” ne suffit pas car les Écritures nous disent avec insistance “ Ne devenez pas une cause d’achoppement. ” — I Cor. 1032, Da. OUBLI DE SOI-​MÊME POUR NE PAS ÊTRE UNE CAUSE D’ACHOPPEMENT Nul chrĂ©tien ne veut dĂ©tourner les gens de la vĂ©ritĂ© de Dieu, par sa conduite, mĂȘme si celle-ci n’est pas mauvaise en soi. Mais les circonstances peuvent la rendre mauvaise. Ce qui est acceptable dans un lieu peut vous attirer le mĂ©pris dans un autre. MĂȘme lĂ  oĂč la danse est admise, si les gens l’identifient comme un signe de dĂ©vergondage, ils considĂ©reront de la mĂȘme maniĂšre tous ceux qui y participeront. C’est pourquoi tous les chrĂ©tiens voudront prendre garde au conseil de Paul “ Nous ne donnons aucun sujet de scandale en quoi que ce soit, afin que le ministĂšre ne soit pas un objet de blĂąme. ” — II Cor. 63, NW. Le conseil divin s’énonce donc ainsi “ Que personne ne cherche son propre intĂ©rĂȘt, mais que chacun cherche celui d’autrui. ” I Cor. 1024. Quel est cet intĂ©rĂȘt d’autrui que les chrĂ©tiens doivent chercher ? C’est son intĂ©rĂȘt spirituel. Bien entendu, il convient d’ĂȘtre encourageant et aimable, mais cela ne nous coĂ»te rien ; et Paul parle de ce qui nous coĂ»te quelque chose afin qu’autrui en tire profit. C’est une question de conscience. Toutes les personnes ne voient pas les choses de la mĂȘme façon. Le chrĂ©tien ayant une conscience Ă©clairĂ©e peut faire les choses avec une bonne conscience et ĂȘtre une cause d’achoppement pour autrui. Il doit considĂ©rer l’objectif essentiel le salut d’autrui. Nous ne voulons pas faire trĂ©bucher autrui Ă  cause de sa conscience. Cela met un frein Ă  notre libertĂ© et rĂ©clame de l’empire sur soi-​mĂȘme dans les choses qui, en elles-​mĂȘmes, peuvent ĂȘtre biensĂ©antes. Il nous faut agir de telle sorte que rien de ce que nous faisons n’empĂȘchera les autres d’accepter la vĂ©ritĂ© de Dieu. Il faut donc non seulement Ă©viter ce qui est mal du point de vue scriptural mais encore nous priver de ce Ă  quoi nous avons droit afin de ne pas prĂ©disposer quelqu’un contre la vĂ©ritĂ© de Dieu. Par consĂ©quent, si nous sommes disposĂ©s Ă  nous priver de quelque chose de biensĂ©ant en soi afin de ne pas faire trĂ©bucher autrui, Ă  combien plus forte raison devrions-​nous nous abstenir de faire ce qui est indĂ©cent selon les Écritures ! Montrant qu’il ne faut pas prendre Ă  la lĂ©gĂšre la question de faire trĂ©bucher autrui, JĂ©sus prononça l’avertissement suivant “ Mais celui qui aura Ă©tĂ© une occasion de chute pour l’un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui pendĂźt au cou une de ces meules que tournent les Ăąnes, et qu’on le prĂ©cipitĂąt dans les profondeurs de la mer. ” — Mat. 186, Stapfer. Ce n’est pas Ă  cause d’une danse que l’on peut nĂ©cessairement faire trĂ©bucher autrui mais Ă  cause des circonstances qui pourraient entourer la danse. Par exemple, que dire si le lieu oĂč l’on danse a une mauvaise rĂ©putation ? Un chrĂ©tien ne frĂ©quenterait pas un restaurant de mauvaise renommĂ©e, ne fĂ»t-​ce que pour la bonne nourriture qu’on y servirait. Il pourrait ĂȘtre une occasion de chute pour autrui. Le lieu est donc aussi un facteur dĂ©terminant I Cor. 89, 10. De mĂȘme les frĂ©quentations sont une question essentielle car “ les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mƓurs ”. I Cor. 1533. Une danse peut ĂȘtre biensĂ©ante mais le divertissement inconvenant s’il est goĂ»tĂ© en mauvaise compagnie. Nous devrions nous divertir en compagnie de ceux qui aiment Dieu et respectent ses commandements. Il est bien que les chrĂ©tiens se rappellent qu’on ne peut classer toutes les danses en danses biensĂ©antes ou indĂ©centes. Nombre d’entre elles peuvent ĂȘtre classĂ©es soit dans l’une soit dans l’autre catĂ©gorie, tout dĂ©pend des danseurs. Le motif peut ĂȘtre mauvais dans une danse convenable de sorte qu’il devient un dĂ©sir violent de plaisir sexuel. En outre, un chrĂ©tien n’a nul besoin d’une ordonnance propre Ă  chaque sorte de danse mise en vogue car, dans de nombreux cas, il peut se renseigner sur les faits et appliquer les principes bibliques. S’il veut continuer de mener une vie de cĂ©libataire il peut trouver bien de ne pas danser avec une personne de l’autre sexe sans lien de parentĂ© avec lui. Voyez donc ce que la danse est, Ă  la base. Quels sont ses mouvements ? Quelle est son origine ? Comment a-​t-​elle Ă©voluĂ© ? Que disent les gens, les moyens d’information Ă  son sujet ? Quelle est sa renommĂ©e dans la communautĂ© ? Si vous la dansiez, quel en serait l’effet sur les spectateurs ? Quand il y a lieu de douter de la biensĂ©ance d’une conduite Ă  suivre, comme nous serons heureux si nous nous conduisons de maniĂšre Ă  Ă©difier nos frĂšres et Ă  Ă©viter d’ĂȘtre pour les nouveaux une occasion de chute. “ L’amour Ă©difie. ” — I Cor. 81, Da. Bien que le choix du divertissement soit une question personnelle, un chrĂ©tien mĂ»r n’insistera pas sur ses “ droits ” sous ce rapport quand ce choix troublera la conscience d’un compagnon chrĂ©tien ou sera une occasion de chute pour les nouveaux. “ Ne nous jugeons donc plus les uns les autres ; mais pensez plutĂŽt Ă  ne rien faire qui soit pour votre frĂšre une pierre d’achoppement ou une occasion de chute. ” Que chacun use d’un esprit sain ; que chacun cherche l’intĂ©rĂȘt d’autrui. Que chacun se conduise comme s’il se trouvait en prĂ©sence du Seigneur JĂ©sus-Christ et du Dieu saint, JĂ©hovah. “ Soit donc que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelque autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu. ” — Rom. 1413 ; I Cor. 1031. RÉFÉRENCES 1 New York Times, du 19 octobre 1961. 2 Life, du 24 novembre 1961. 3 Time, du 20 octobre 1961. 4 New York Times Magazine, du 3 dĂ©cembre 1961. 5 New York Times, du 4 janvier 1962. 6 Newsweek, du 4 dĂ©cembre 1961. 7 New York Times, du 15 novembre 1961. 8 Ibid., Ă©dition du 21 octobre 1961. 9 New York Times magazine, du 17 dĂ©cembre 1961. 1Qu’est-ce qu’une chorĂ©graphie ? C’est un ensemble de mouvements corporels qui possĂšde un nexus, c’est-Ă -dire une logique de mouvement, propre. Si l’on se rĂ©fĂšre spĂ©cifiquement Ă  la danse, il faut ajouter Un ensemble conçu ou imaginĂ© de certains mouvements dĂ©libĂ©rĂ©s
 » S’il s’agit d’une chorĂ©graphie improvisĂ©e, l’exigence du nexus se maintient, mĂȘme si l’on abandonne partiellement l’idĂ©e de la prĂ©conception et le caractĂšre volontaire des mouvements. Comme dans toute dĂ©finition dans le champ de l’art, celle de la chorĂ©graphie pose immĂ©diatement de multiples problĂšmes il semble pourtant que, dans tous les cas qui se prĂ©sentent notamment dans la danse contemporaine, il n’y ait pas de chorĂ©graphie sans un nexus. Le nexus 2Qu’est-ce, alors, qu’un nexus de mouvements dansĂ©s ? Il n’est dictĂ© ni par sa finalitĂ© ni par son expressivitĂ©. Prenons Ă  la lettre ces mots de Merce Cunningham Si un danseur danse – ce qui n’est pas la mĂȘme chose que d’avoir des thĂ©ories sur la danse ou sur le dĂ©sir de danser ou sur les essais qu’on fait pour danser ou sur les souvenirs laissĂ©s dans le corps par la danse de quelqu’un d’autre –, mais si un danseur danse, tout est dĂ©jĂ  lĂ . Le sens est lĂ , si c’est ce que vous voulez. C’est comme cet appartement oĂč je vis – je regarde tout autour de moi, le matin, et je me demande, qu’est-ce que tout cela signifie ? Cela signifie ça, c’est lĂ  oĂč je vis. Quand je danse, cela signifie ça, c’est ce que je suis en train de faire. Une chose qui est juste cette chose-lĂ  » Cunningham 1952 97. 3Il serait donc vain de dĂ©crire le mouvement dansĂ© en voulant saisir tout son sens. Comme si son nexus pouvait ĂȘtre traduit entiĂšrement sur le plan du langage et de la pensĂ©e exprimĂ©e par des mots. Il nous reste donc deux possibilitĂ©s ou bien ne pas prĂ©tendre tout dire de ce nexus – non parce qu’il renfermerait quelque noyau de sens ineffable, mais parce qu’il se dit autrement que par le langage ; ou bien faire du constat cunninghamien que le sens de la danse est dans l’acte mĂȘme de danser le point de dĂ©part d’une approche de la danse au plus prĂšs des gestes concrets du danseur. Non pas en cherchant Ă  en extraire le sens, mais en Ă©pousant le plus Ă©troitement possible le mouvement du geste corporel. 4Que se passe-t-il dans le corps lorsqu’il se met Ă  danser ? Comment le danseur-chorĂ©graphe construit-il le nexus de ses mouvements dansĂ©s ? 5Dans une interview, Cunningham rĂ©pondait Ă  la question Quelle est la source the origins des formes et des mouvements que vous trouvez pour vos danseurs ? » en expliquant qu’il ne les concevait pas d’avance, mais toujours en expĂ©rimentant les mouvements pratiquement. Et de fait, dans un enregistrement filmĂ© des annĂ©es 70, on le voit dans son studio assis sur une chaise, immobile, semblant se concentrer, puis soudain se lever, faire trois pas, se jeter par terre, les bras et les jambes placĂ©s d’une certaine façon, et soudain s’immobiliser ; se relever, revenir Ă  la chaise ; refaire la mĂȘme sĂ©quence de mouvements, cette fois en plaçant les membres diffĂ©remment. La sĂ©quence se rĂ©pĂšte jusqu’à ce que Cunningham dĂ©veloppe une nouvelle sĂ©quence Ă  partir de la premiĂšre dont les mouvements sont fixĂ©s. Comme il dit Ma chorĂ©graphie fait partie d’un processus de travail a working process. Ça ne se fait pas toujours nĂ©cessairement avec la compagnie. Ça peut ĂȘtre moi, tout seul. Mais c’est un processus de travail. Je commence, dans le studio, en essayant quelque chose. Si ça ne marche pas pour une raison quelconque, ou si ça n’est, pour moi, physiquement pas possible de le faire, j’essaie autre chose [
]. Comme vous voyez, je m’intĂ©resse Ă  l’expĂ©rimentation avec des mouvements » Cunningham 1951 55. 6Qu’est-ce qu’expĂ©rimenter, essayer » ? C’est arriver Ă  un point de coordinations physiques » tel que l’ Ă©nergie » passe naturellement » Cunningham 1952. Il s’agit de flux de mouvements plutĂŽt que de formes ou de figures comme dans le ballet. En essayant une sĂ©quence de mouvements et en vĂ©rifiant que l’énergie passe, le danseur se trouve devant de multiples possibilitĂ©s d’autres mouvements. Il essaie Ă  nouveau, et il choisit, et ainsi de suite, crĂ©ant un flux d’énergie. Les formes se composent au fur et Ă  mesure, et pĂšsent sans doute sur le choix des sĂ©quences ; mais elles ne sont pas dĂ©terminantes, au contraire, elles dĂ©pendent du destin que le danseur veut donner Ă  l’énergie, crĂ©ant des foyers intensifs ou attĂ©nuant son Ă©lan, accĂ©lĂ©rant la vitesse, modulant la force du mouvement. Chez Cunningham en tout cas, la crĂ©ation de formes obĂ©it Ă  la logique de l’énergie loin de constituer des fins en soi construire de belles figures », les formes sont des sortes d’ embrayeurs » du flux de mouvements. 7Il ne faut cependant pas croire que les chorĂ©graphies de Cunningham supposent toutes un continuum de mouvement qui rĂ©sulterait d’expĂ©rimentations successives J’ai fait des danses qui utilisent diffĂ©rentes continuitĂ©s de composition. Par exemple, actuellement je fais rarement une danse oĂč je commence au dĂ©but et je continue toujours, jusqu’à la fin. Il est plus probable que je fasse une sĂ©rie de choses, des sĂ©quences courtes, des passages longs, oĂč je m’implique tout seul, ou peut-ĂȘtre avec un autre ou d’autres danseurs, parfois avec toute la compagnie. Alors, employant le hasard ou d’autres mĂ©thodes, je prends une dĂ©cision sur l’ordre [des sĂ©quences]. Je ne peux donc pas avoir une idĂ©e particuliĂšre qui commencerait ici et qui se prolongerait lĂ , que quelqu’un pourrait apprĂ©hender de cette façon-lĂ . Pourtant, aprĂšs qu’on danse une piĂšce pendant un temps, mĂȘme si elle a pu paraĂźtre Ă©trange au dĂ©but, elle finit par porter en elle sa propre continuitĂ©. C’est comme si on entrait dans une maison Ă©trange et qu’on devait suivre des trajets non connus. AprĂšs un certain temps, les trajets ne sont plus Ă©tranges » Cunningham 1951 55-56. 8Cunningham construit ses chorĂ©graphies comme des patchworks, avec des bouts de mouvements venus de sources diverses et hĂ©tĂ©rogĂšnes. Comment tout cela acquiert-il un nexus ? 9C’est un vieux problĂšme que les ready-made de Duchamp soulevaient dĂ©jĂ  – et on connaĂźt l’influence de Duchamp sur Cunningham Banes & Carroll 1994 comment un objet insolite, non artistique, devient-il, au bout d’un certain temps d’ habituation », l’équivalent d’un objet d’art ? Ou encore comment une inscription sur un objet un peigne, par exemple, avec lequel elle n’a aucun rapport, peut-elle Ă  la longue ĂȘtre perçue comme en faisant partie ? Les sĂ©ries 10Lorsqu’il s’agit du corps, et en particulier de la danse, le fait est encore plus surprenant. Des sĂ©ries diffĂ©rentes ou divergentes de gestes accomplis par le mĂȘme corps dans un temps unique finissent par s’intĂ©grer » ; de mĂȘme pour des sĂ©ries de mouvements et de notes musicales ou mĂȘme du bruit ; ou encore pour tout objet Ă©tranger aux gestes, introduit par hasard au milieu d’une sĂ©quence dansĂ©e aprĂšs un certain temps, on obtient toujours une continuitĂ© de sĂ©ries hĂ©tĂ©rogĂšnes. C’est ce qui arrive dans beaucoup de chorĂ©graphies contemporaines dans le théùtre-danse, par exemple sĂ©rie de mouvements corporels et sĂ©rie de paroles ; sĂ©rie d’espaces ou d’objets sans rapport avec les sĂ©ries de gestes ; ou dans les danses rituelles ou thĂ©rapeutiques des sociĂ©tĂ©s exotiques. 11Faut-il croire que le corps a un tel pouvoir intĂ©grateur, ou assimilateur, qu’il transforme tout ce qui l’approche dans l’espace et dans le temps en un tout homogĂšne et unifiĂ©, c’est-Ă -dire organique ? Autrement dit, le nexus de la danse tiendrait au nexus du corps comme organisme, ou comme structure fabrica, comme on disait au xvie siĂšcle. 12Que signifie ici intĂ©grer » ? Non pas que les sĂ©ries, divergentes au dĂ©part, cessent de l’ĂȘtre pour converger vers une mĂȘme fin ; car les paroles du danseur qui n’ont aucun lien avec les mouvements qu’il exĂ©cute conservent leur sens et leur Ă©trangetĂ© propres. Les sĂ©ries continuent de diverger. 13La convergence ne se produit donc pas ; au contraire, et paradoxalement, la divergence des sĂ©ries va en s’accentuant ou, plutĂŽt, elles gagnent une autonomie et une intensitĂ© accrues. Le moment oĂč surgit ce que Duchamp appelait l’ habituation », et que Cunningham nommait points structuraux » points de rencontre d’une sĂ©rie de sons qui diverge d’une sĂ©rie de gestes dansĂ©s, c’est l’instant oĂč une sĂ©rie accroche l’autre. Accrocher » veut dire se combiner, s’agencer. Loin de former une totalitĂ© organique plus vaste la chorĂ©graphie Ă©tant la totalitĂ© de toutes les totalitĂ©s, les sĂ©ries, d’abord entiĂšrement indĂ©pendantes et indiffĂ©rentes l’une Ă  l’autre, entrent en contact et se connectent en certains points singuliers. Ne convergeant pas pour autant, elles se croisent. Et, Ă  partir de ce moment et de ces points de contact, elles diffĂšrent encore plus. Comme dirait Deleuze, qui a longuement Ă©tudiĂ© la divergence des sĂ©ries Deleuze 1969 et 1996, elles vont en se diffĂ©renciant ». 14Les points de contact ou de croisement constituent des foyers d’intensification des sĂ©ries. Intensification interne des Ă©carts tensions entre deux gestes qui se succĂšdent ; intensification des divergences entre la sĂ©rie des gestes et l’autre des notes musicales, des paroles, des objets, des gestes non dansĂ©s. 15Du contact naĂźt la connexion, l’agencement. Si on a l’impression que dĂ©sormais les deux sĂ©ries forment un tout, c’est parce qu’elles entrent dans une mĂȘme continuitĂ© de fond que compose le rythme mĂȘme de la divergence qui les sĂ©pare ; et qui s’est intensifiĂ©e, autonomisant davantage chaque sĂ©rie. 16Supposons un solo le danseur exĂ©cute une sĂ©rie de gestes ; soudain il se met Ă  parler d’une histoire qui n’a apparemment rien Ă  voir avec ses mouvements on pourrait prendre comme exemple la piĂšce de Steve Paxton, Ash, 1999. Le regard du spectateur vacille, sa comprĂ©hension des gestes et des paroles s’effondre. Puis, Ă  partir d’un certain moment, tout se remet en place ça fonctionne ». Qu’est-ce qui fonctionne ? Le mouvement des gestes et des paroles qui ne rĂ©sulte pas de l’agencement des uns et des autres dans une double chaĂźne qui s’enroulerait sur elle-mĂȘme, les mots ou les phrases ne se connectant pas un Ă  un avec les mouvements ou les sĂ©quences de mouvements. L’agencement s’est opĂ©rĂ© Ă  tel point de contact qui a un effet de rĂ©sonance sur les deux sĂ©ries, effet qui appartient dĂ©sormais aux mouvements mĂȘmes des sĂ©ries. On dit les mots sont entrĂ©s dans la danse ». Ainsi se forme la continuitĂ© de fond qui assure la connexion paradoxale des sĂ©ries divergentes. 17Car il est vrai que nous continuons de voir et d’entendre les gestes et les paroles dans des sĂ©ries sĂ©parĂ©es, en constatant leur divergence de plus en plus nette. Mais cette diffĂ©rence s’accentue toujours davantage parce que le rythme du mouvement dansĂ© se rapporte au rythme du flux de paroles comme ce qui fait ressortir la singularitĂ© de l’autre sĂ©rie. D’oĂč une continuitĂ© des Ă©carts ou des diffĂ©rences entre les sĂ©ries. Le rythme assure les Ă©carts dans la continuitĂ©, permettant le mouvement de diffĂ©renciation sans rupture, modulant le temps, la vitesse, la distance interne aux intervalles, sans dĂ©truire la ligne de flux de l’énergie. 18VoilĂ  qui fait le nexus d’un ensemble de mouvements hĂ©tĂ©rogĂšnes. On pourrait dĂ©crire de façon identique la chorĂ©graphie de certains rituels thĂ©rapeutiques, comme ceux dĂ©crits par Victor Turner chez les Ndembu d’Afrique sĂ©ries divergentes qui se croisent au point de contact du sacrifice. 19Le nexus chorĂ©graphique implique une continuitĂ© de fond de la circulation de l’énergie, mĂȘme si, en surface, des sĂ©ries se heurtent, ou se sĂ©parent, ou se brisent. En fait, une chorĂ©graphie comporte de multiples strates de temps et d’espace. La continuitĂ© de fond, en tant que strate d’agencement de toutes les strates, garantit le nexus, la logique propre de la composition de tous les mouvements. La quasi-articulationdu corps 20Parce que, comme dit Cunningham, une danse est une chose qui est juste cette chose-lĂ  », quelque chose du nexus de l’Ɠuvre nous Ă©chappe encore ; quelque chose qui Ă©chappe au langage parce que la danse n’est pas un langage. 21Francis Sparshott 1995 253 donne dix-huit raisons pour refuser Ă  la danse le 22statut d’un langage. Il suffit d’en Ă©voquer une, dĂ©cisive il est impossible de dĂ©couper, dans les mouvements du corps, des unitĂ©s discrĂštes comparables aux phonĂšmes de la langue naturelle. Quelle que soit la façon dont on dĂ©coupera la masse des mouvements corporels par plans, par volumes, par traits-signes – comme dans la notation Laban 1, on se heurtera toujours Ă  un fait irrĂ©ductible le glissement ou le chevauchement des unitĂ©s dĂ©coupĂ©es les unes sur les autres empĂȘche qu’on trace une frontiĂšre nette entre deux mouvements corporels qui s’articulent ». 23Ce chevauchement, qui tient essentiellement Ă  ce que les articulations du squelette engagent des muscles et des tendons dont le mouvement engage, Ă  son tour, d’autres os que ceux censĂ©s se mouvoir, rend impossible cette premiĂšre articulation » nĂ©cessaire Ă  la formation du langage. Il n’y a pas de gestĂšmes » comparables aux phonĂšmes. D’oĂč l’inexistence d’une double articulation » d’un langage du corps, Ă  la maniĂšre de celle du langage parlĂ©. 24Une autre raison me semble importante la fonction d’expression des mouvements du corps est beaucoup plus riche que celle du langage articulĂ© qui dĂ©pend, en grande partie, de la fonction de communication du sens verbal. C’est que le sens, dans l’expressivitĂ© corporelle, ne dĂ©rive pas d’abord de l’articulation des systĂšmes anatomiques du corps propre. Son surgissement Ă  la surface du corps ne dĂ©pend pas exclusivement du mouvement mĂ©canique des membres et du torse. Tout un autre ensemble de mouvements d’autres types contribue Ă  l’expression du sens par exemple, ceux qui font la qualitĂ© de prĂ©sence » de tel danseur, ou la fluiditĂ© » de son Ă©nergie, etc. C’est que le corps du danseur n’est pas que le corps physique de la mĂ©decine ou que le corps propre de la phĂ©nomĂ©nologie. 25Il peut se remplir de sens ou devenir exsangue, absent, vide comme les corps des psychotiques, du moins partiellement. Mais, mĂȘme en ce dernier cas, il ne cesse pas totalement d’ĂȘtre expressif. De toute façon, qu’on le veuille ou non, tout mouvement du corps est de lui-mĂȘme expressif », affirme Cunningham. 26Il convient de distinguer, ici, entre les mouvements du corps dans ses fonctions habituelles, individuelles et sociales – comme le fait de marcher ou d’accomplir une tĂąche avec des outils –, et les mouvements dansĂ©s. Car, si l’on refuse aisĂ©ment aux mouvements fonctionnels le terme de langage », on hĂ©site Ă  ne pas l’appliquer Ă  la danse oĂč, moins que dans d’autres arts, il prendrait une signification mĂ©taphorique. Le corps parlerait vraiment » dans la danse. 27Cela tiendrait au fait que l’expressivitĂ© corporelle y serait Ă©levĂ©e Ă  un dernier degrĂ©, si bien que le corps du danseur se trouverait parfois saturĂ© » de sens. Bref, si le corps est de toute façon expressif, il le serait beaucoup plus quand il danse. 28Cunningham se rĂ©fĂ©rait au mouvement naturel, spontanĂ© », autant qu’au mouvement dansĂ©. Cependant, la diffĂ©rence entre les deux est de nature, plus que de degrĂ© dans l’expressivitĂ©. Si les danseurs arrivent Ă  saturer leur corps de sens, alors que les mouvements fonctionnels ou utilitaires n’expriment que des significations prĂ©cises, pauvres ou isolĂ©es, cela viendrait de ce que la danse dit un monde » ; et le geste de nettoyer une vitre, s’il n’est pas dansĂ©, ne dit qu’une fonction. 29Si le sens vient au corps mais pas grĂące Ă  une double articulation de ses mouvements, comment le danseur parvient-il, comme dans certains cas, Ă  saturer son corps de sens ? 30ConsidĂ©rons d’abord le corps trivial » habituel expression prĂ©fĂ©rable Ă  celle de corps naturel », entitĂ© fictive. Dans ce corps, l’empiĂštement des mouvements ne conduit pas Ă  leur confusion ; au contraire, l’éducation du corps des enfants comporte des phases de plus en plus complexes de contrĂŽle moteur, visant l’adaptation des mouvements Ă  la vie sociale la confusion dans le chevauchement aboutirait Ă  l’impuissance motrice dans une sorte d’amalgame de sens exprimĂ©s dans une soupe gĂ©nĂ©rale expressive – cas, parfois, de l’autisme, de certains corps psychotiques, des enfants-loups. 31Le corps ordinaire exprime un sens, bien que ce ne soit pas au moyen d’un langage. Car, si sa constitution anatomique ne permet pas la formation d’un langage avec une double articulation d’unitĂ©s discrĂštes, le corps n’en est pas moins articulĂ©. Ou plutĂŽt, comme il n’arrive pas Ă  ĂȘtre tout Ă  fait articulĂ©, on dira que ses mouvements relĂšvent d’une quasi-articulation. 32C’est cette quasi-articulation qui assure sa mobilitĂ©, son opĂ©rativitĂ©, son intĂ©gration dans l’espace, l’empĂȘchant de tomber dans l’immobilitĂ© amorphe ou dans l’inexpressivitĂ© du pur objet. 33Comment fonctionne la quasi-articulation du corps ? 34D’abord, ce qui s’articule dans le corps, ce ne sont donc pas des unitĂ©s de mouvement, mais des zones entiĂšres de l’espace. Or, ces zones n’ont pas de frontiĂšres prĂ©cises, empiĂ©tant les unes sur les autres ou s’emboĂźtant les unes dans les autres. La zone gauche du corps empiĂšte sur l’avant et sur l’arriĂšre. L’espace d’un mouvement de la main s’emboĂźte dans l’espace des mouvements possibles du bras, lequel est recouvert Ă  son tour par l’espace des mouvements de l’avant-bras. Ces zones ne s’articulent pas vraiment puisque, Ă  partir d’un certain point, le mouvement d’articulation d’une zone entraĂźne avec lui une partie d’une autre zone. C’est une quasi-articulation du corps. 35Ensuite, on voit que les mouvements dĂ©pendent des limitations anatomiques constitutives du corps. Il y a des mouvements que l’homme ne peut pas faire, comme tourner la tĂȘte de 360 degrĂ©s. Ces limitations imposent un cadre quasi syntactique », dĂ©terminant un certain type de gestes et de sĂ©quences, tout en empĂȘchant d’autres, mais toujours selon des rĂšgles qui comportent une large marge d’indĂ©termination. N’importe quel ensemble de gestes formĂ©s, n’importe quel syntagme » gestuel flotte dans une zone imprĂ©cise, sans contours nets, qui accueille de multiples autres sĂ©quences possibles. Faire un pas en avant » obĂ©it Ă  une rĂšgle syntactique qui dispose le corps et ses membres apparemment d’une seule façon ; Ă  y regarder de plus prĂšs, on dĂ©couvre d’infinies façons de placer les parties du corps afin de faire un pas en avant – mais toujours Ă  l’intĂ©rieur d’un cadre limitatif dont l’une des contraintes est d’avancer une jambe. 36Il s’agit donc d’une zone de mouvements corporels, Ă  la fois prĂ©cise et aux contours indĂ©finis, qui correspond Ă  une signification gĂ©nĂ©rale du geste, oĂč ce dernier se forme suivant une rĂšgle quasi syntactique » et non syntactique » parce qu’il y a chevauchement de zones, effacement de frontiĂšres de mouvements et de sens. On parlera d’une rĂšgle quasi syntactique » de formation du geste. Ceux-ci Ă©tant toujours singuliers, mais s’inscrivant dans une marge d’indĂ©termination, une zone de sens gĂ©nĂ©ral verbal, chaque syntagme » gestuel comporte simultanĂ©ment un sens unique et un sens commun Ă  d’autres gestes c’est un quasi-syntagme. 37Le sens du geste n’est pas Ă©quivoque, au contraire, il est mĂȘme entiĂšrement univoque et singulier. Sa singularitĂ© vient de ce qu’il occupe dans l’espace une position unique, microlocale, de par le fait qu’elle rĂ©sulte prĂ©cisĂ©ment des chevauchements de zones gĂ©nĂ©rales » ainsi dĂ©signĂ©es par le langage. L’unicitĂ© du geste Ă©pouserait alors son sens le geste deviendrait le sens incarnĂ© – c’est ce que va rĂ©ussir la danse. La surarticulation 38On constate que les mouvements du corps ordinaire s’inscrivent Ă  l’intĂ©rieur d’une large bande comprise entre une tendance vers le signe pur l’ articulation » des gestes, et une tendance vers l’incarnation du sens dans le geste singulier, irrĂ©ductible Ă  un code. Dans les deux cas, le chevauchement persiste entre signe et sens, entre signifiant » et signifiĂ© » pour codifiĂ© que soit tel geste pointer de l’index, la rĂ©vĂ©rence dans le ballet classique, le mudra dans la danse indienne, il ne se dĂ©tachera jamais complĂštement du reste du corps. Il dira donc ce que le code lui a assignĂ© comme sens, mais aussi ce que son attachement au corps implique comme sens incorporĂ© » la main reste une main avec toutes ses virtualitĂ©s de mouvement, au-delĂ  du fait qu’elle fait fonction de signe ; et de mĂȘme pour le torse, dans la rĂ©vĂ©rence. D’autre part, le geste singulier qui incarne le sens ne cesse jamais d’ĂȘtre une unitĂ© quasi sĂ©parable, un quasi-signe, dans la mesure oĂč il appartient Ă  un corps quasi articulĂ©. 39Bref, c’est Ă  partir de ces deux tendances ou possibilitĂ©s de la quasi-articulation du corps ordinaire que l’on pourra le tirer soit du cĂŽtĂ© de la fonctionnalitĂ©, soit du cĂŽtĂ© de l’incarnation du sens dans le mouvement immanent de la danse. 40Enfin, si l’on considĂšre le geste dansĂ©, cette quasi-articulation des zones du corps et l’empiĂštement de mouvements qu’elle implique conduisent Ă  une sorte de surfragmentation des gestes. Cela fait qu’un mouvement quelconque du bras, par exemple, se dĂ©compose dans une infinitĂ© de mouvements microscopiques seul l’arrĂȘt sur image donne un plan statique d’un geste un et indivisible. A une Ă©chelle minime, chaque partie du bras, de la peau, de la chair constitue une unitĂ© instable, en mouvement, qui se compose d’autres unitĂ©s encore plus petites. Comment le mouvement de la danse rĂ©ussit-il cette surfragmentation Ă  partir de la quasi-articulation du geste ordinaire ? 41Dans la vie commune, soumise Ă  de multiples systĂšmes de codification des gestes, la tendance Ă  rabattre la quasi-articulation sur le signe verbal prĂ©vaut sur la deuxiĂšme tendance, qui va dans le sens opposĂ©. Les gestes deviennent tout Ă  fait transparents, traduisibles dans des significations gĂ©nĂ©rales. Le corps exprime alors le langage articulĂ©, ses mouvements finalisĂ©s parlent la langue claire des fonctions sociales. Le langage » du corps ne diffĂšre guĂšre de ce qu’en dit le discours des impĂ©ratifs de tout genre qui moulent ses mouvements. 42La tendance Ă  la singularitĂ© des gestes est absorbĂ©e par cette discipline du corps. Le non-verbal, qui correspond ici au microscopique et Ă  la singularitĂ©, est rĂ©duit, appauvri, voire effacĂ© au bĂ©nĂ©fice des gestes fonctionnels macroscopiques et gĂ©nĂ©raux. Par exemple, l’expressivitĂ© corporelle d’un professeur est happĂ©e par les gestes larges qui accompagnent ses messages verbaux – parce que toute sa fonction d’enseignant est codĂ©e au moyen du langage. 43Mieux sous l’effacement de la tendance Ă  la singularitĂ© de la quasi-articulation du corps perce parfois ce qui le sous-tend, le fantasme du corps informe, du monstre, du corps fou, sauvage et violent ; le fantasme du viscĂ©ral, du corps sale ou du corps mortifĂšre Ă©pidĂ©mique. Ces fantasmes constituent l’arriĂšre-fond innommable qu’il faut contrĂŽler ou Ă©liminer si l’on tient Ă  avoir des corps fonctionnels. 44Comment la danse transforme-t-elle le corps ordinaire ? Tire-t-elle sa quasi-articulation du cĂŽtĂ© du signe et du langage verbal, ou du cĂŽtĂ© du corps singulier, incodable, non sĂ©miotisable ? 45En fait, la danse Ă©chappe Ă  cette pseudo-antinomie. Car, d’abord, elle met en mouvement. Cependant, cette mise en mouvement du corps ne part pas de zĂ©ro, d’une immobilitĂ© ou d’un repos absolus. La danse met le corps en mouvement parce que le corps est dĂ©jĂ  en mouvement mouvement des organes, mouvement tensionnel qui le tient en vie, mouvement du cerveau et des pensĂ©es, mouvement dans l’équilibre de la position debout, qui fait la small dance de Steve Paxton. D’une façon gĂ©nĂ©rale, il n’y a pas une seule posi-tion du corps qui soit statique. Le corps bouge toujours imperceptiblement parce qu’il est toujours en Ă©quilibre tensionnel. 46Cela signifie, par exemple, que debout » ne dĂ©signe pas une position arrĂȘtĂ©e dans l’espace, mais implique une infinitĂ© de positions millimĂ©triques, invisibles Ă  l’Ɠil nu, qui tournent autour d’une sorte d’axe ou de position jamais rĂ©alisĂ©e. 47C’est le chevauchement des mouvements et la quasi-articulation du corps qui expliquent cette multiplication du geste. Car l’équilibre producteur de mouvement Ă©quilibre mĂ©tastable s’appuie sur le chevauchement, crĂ©ateur de tension et d’instabilitĂ©s microscopiques. 48Or, l’automultiplication du geste – le fait qu’un geste s’avĂšre, Ă  Ă©chelle microscopique, ĂȘtre constituĂ© d’une multiplicitĂ© de gestes – implique sa surfragmentation, comme il est Ă©vident. Le mouvement incessant d’un geste autour d’un axe virtuel non seulement crĂ©e une infinitĂ© d’autres gestes, mais un continuum de microgestes tel qu’une partie minime d’un geste se compose avec une autre d’un autre geste – par chevauchement ou glissement des mouvements les uns sur les autres –, si bien que tous les microgestes qui forment le geste divisent ce dernier en mille micro-unitĂ©s
 49Bref, non seulement le chevauchement suppose que chaque geste macroscopique entraĂźne avec lui des fragments d’autres gestes qui contiennent d’autres fragments d’autres gestes encore, mais le type d’équilibre propre du geste dansĂ© fragmente le mouvement dans de multiples sĂ©quences microscopiques. Par exemple, j’ouvre la bouche en dansant dans cette sĂ©quence de mouvements se trouvent concentrĂ©s de multiples fragments d’autres sĂ©quences non encore dĂ©terminĂ©es ouvrir la bouche pour crier, manger, parler, chanter, etc. ; mais cette sĂ©quence elle-mĂȘme se tient en mouvement incessant, de par son Ă©quilibre tensionnel ou mĂ©tastable, se fragmentant et se divisant, amplifiant sa quasi-articulation. 50Autrement dit, la surfragmentation Ă©quivaut Ă  une surarticulation. La quasi-articulation, qui, dans la vie ordinaire du corps, est tirĂ©e du cĂŽtĂ© du signe et de l’articulation du langage verbal – en fait mutilant, tronquant le mouvement mĂȘme de quasi-articulation qui fait toute la plasticitĂ© du corps –, gagne dans le mouvement dansĂ© une ampleur qui la surarticule, au-delĂ  de ce que le systĂšme des articulations » du squelette et des muscles dĂ©termine comme leurs simples possibilitĂ©s, sur le plan des macromouvements. 51Or, dans ce mouvement de surfragmentation gestuelle ostensif, dans la technique Cunningham, ou dans les mouvements du butĂŽ, la tendance va vers l’abolition du geste comme signe il tend Ă  incarner le sens. C’est le mouvement du sens que l’on voit maintenant dans le corps du danseur. Son geste est unique et saturĂ© de sens. Il ne rĂ©sulte pas de l’application d’une rĂšgle syntactique quasi-articulant des zones gestuelles qui indiquent des zones de sens, mais de l’émergence mĂȘme du sens. Le mouvement de ces micro-unitĂ©s dit immĂ©diatement le sens, comme s’il obĂ©issait Ă  une grammaire sĂ©mantique propre, non verbale. 52Le mouvement dansĂ© conduit la quasi-articulation des zones larges de mouvement et de sens Ă  la construction de sĂ©quences surarticulĂ©es immĂ©diatement sensĂ©es. Le corps dansĂ© devient un systĂšme oĂč la quasi-articulation syntactique se rĂ©sout en une grammaire sĂ©mantique. Cette grammaire a comme lexique des micro-unitĂ©s gestuelles indĂ©finies, et comme syntaxe des trajets d’énergie Deleuze dirait des cartes d’intensitĂ©s qui parcourent le corps du danseur. L’immanence du mouvement 53On comprend que Cunningham considĂšre tout mouvement du corps de lui-mĂȘme expressif. On comprend qu’il ait voulu dĂ©multiplier les mouvements jusqu’aux limites des possibilitĂ©s physiques du corps la surfragmentation des gestes ouvre des canaux au passage de l’énergie et facilite son Ă©coulement. On comprend donc qu’il ait pu Ă©crire ceci La danse n’est pas Ă©motion, passion pour une femme, colĂšre contre un homme. Je crois qu’elle est plus originaire primal que cela. Dans son essence, dans la nuditĂ© de son Ă©nergie, c’est une source d’oĂč la passion ou la colĂšre peut naĂźtre sous telle forme particuliĂšre, la source d’énergie d’oĂč peut ĂȘtre canalisĂ©e l’énergie qui passe dans les divers comportements Ă©motionnels. C’est l’exposition Ă©clatante de cette Ă©nergie, c’est-Ă -dire d’énergie Ă©levĂ©e Ă  une intensitĂ© suffisante pour faire fondre l’acier chez quelques danseurs, qui procure la grande excitation. Ce n’est pas le sentiment de quelque chose, c’est un coup de fouet sur l’esprit et le corps qui les engage dans une action si intense que, pendant le court moment concernĂ©, l’esprit et le corps ne font qu’un » Cunningham 1952 56. 54Ce point de fusion » marque le mouvement de l’immanence. La danse construit le plan de mouvement oĂč l’esprit et le corps ne font qu’un » parce que le mouvement du sens Ă©pouse le sens mĂȘme du mouvement danser c’est non pas signifier », symboliser » ou indiquer » des significations ou des choses, mais tracer le mouvement grĂące auquel tous ces sens prennent naissance. Dans le mouvement dansĂ©, le sens devient action. 55Mais comme le sens peut ĂȘtre dit de diffĂ©rentes façons, par la parole ou par l’image, par la narrative ou par le geste pur, la danse a recours Ă  ces multiples moyens, les intĂ©grant et les transformant en mouvement. C’est un autre aspect de l’immanence. 56On comprend maintenant que Cunningham affirme que le sens de la danse est dans l’action mĂȘme de danser et pas ailleurs, pas dans les thĂ©ories et les idĂ©es ou les sentiments. C’est que l’immanence rĂ©alise le sens dans le mouvement des corps. VoilĂ  qui donne le nexus Ă  la chorĂ©graphie non pas la cohĂ©rence des mouvements selon un code, mais la construction d’un plan qui permette aux mouvements dansĂ©s d’atteindre ce point de fusion dont parle Cunningham. Alors, rien du sens n’échappe plus au langage, parce que le langage, le mouvement de son sens entrent dans le mouvement du sens de la danse. On ne pourra donc plus affirmer que ce qui fait le nexus de l’Ɠuvre est ineffable, parce qu’il est lĂ , rĂ©alisĂ© dans l’immanence du sens Ă  la danse des corps. 57De mĂȘme, puisqu’on est parti des sĂ©ries divergentes de Cunningham, on dira que c’est aux points de contact des sĂ©ries points structuraux », selon l’expression de Cunningham, par exemple d’une sĂ©rie musicale avec une sĂ©rie de mouvements dansĂ©s, que commence le tracĂ© du plan d’immanence. A ces points d’intensification de l’énergie commence l’osmose de mouvement telle que les espaces musicaux deviennent des espaces corporels, des quarts de ton, des quarts de geste. Les notes deviennent des gestes et les gestes, des notes. Comment ? Dans le plan d’immanence oĂč les mouvements du corps atteignent Ă  l’intensitĂ©, oĂč geste et note ne font qu’un. La fusion » ou osmose, grĂące Ă  l’extrĂȘme intensification de l’énergie, fait fondre une forme » dans l’autre. Bref, le nexus des sĂ©ries divergentes est créé par l’immanence du corps Ă  la musique. Les notes sont des actions du corps, des vibrations des mouvements corporels. 58Comment le danseur construit-il son plan d’immanence ? Disons qu’il transforme la quasi-articulation en surarticulation du corps. La danse traduit la masse du sens incorporĂ© embodied et inarticulĂ© embedded dans des trajets intensifs, tout en dissolvant dans le mouvement ce qui apparaĂźt comme pure illustration kinĂ©sique du verbal. Elle change les paroles et les gestes articulĂ©s par le langage en sens agi par le mouvement. Alors, le quasi-articulĂ© du geste ordinaire devient sens se produisant et s’exprimant dans le mouvement. 59Il est aisĂ© de comprendre comment la surarticulation a prise sur la quasi-articulation afin de la traduire en micro-articulations agies par le passage de l’énergie. Comment, par exemple, on peut traduire un geste commun tel que celui de tourner Ă  gauche » dans une sĂ©quence continue de microgestes formant un mouvement qui ne montre plus le virage Ă  gauche d’un corps, mais n’en restitue que mieux, dans l’intensitĂ© propre de son Ă©nergie, la vĂ©ritĂ© du tourner Ă  gauche » macroscopique d’oĂč l’on Ă©tait parti. 60C’est une question de traduction ou plutĂŽt de transduction de mots, de formes, d’images et de pensĂ©es en mouvement. C’est ce que rĂ©ussit la danse. L’immanence qu’elle crĂ©e se fonde sur ce mĂȘme empiĂštement des mouvements les uns sur les autres qui fait qu’il n’y a jamais de signe corporel complĂštement sĂ©parĂ© du corps, jamais de sens verbal paroles qui ne s’origine dans des vibrations de la voix, que le lexique des mouvements corporels quel qu’en soit le code ne se dĂ©tache pas de la grammaire la quasi-articulation intensive. S’il est facile de faire entrer dans le mĂȘme plan de mouvement immanent le signe et le sens, c’est que la danse, en transformant la quasi-articulation en surarticulation du corps, crĂ©e les conditions pour que s’opĂšrent toutes sortes de transductions de toutes sortes d’élĂ©ments en mouvement, grĂące Ă  la modulation des intensitĂ©s qui traversent le plan. Le Contact-Improvisation 61Qu’est-ce que le plan d’immanence de la danse ? C’est un plan de mouvement. Mais pas de n’importe quel mouvement. La marche compose aussi un plan de mouvement oĂč certains mouvements d’organes coexistent et se combinent de maniĂšre spĂ©cifique, selon une logique propre. On peut mĂȘme y faire participer d’autres mouvements non habituels marcher en tournant la tĂȘte Ă  gauche et Ă  droite, par exemple. Tout cela, cependant, ne forme pas un plan d’immanence. 62Pour construire un tel plan en dansant, au moins deux conditions sont requises que la pensĂ©e et le corps ne fassent qu’un dans le mouvement la fusion » dont parle Cunningham ; que le mouvement du corps soit infini, ce qui implique qu’il puisse s’agencer avec d’autres corps dansants. 63Nous n’examinerons ici qu’un aspect de cette derniĂšre condition. 64Pour qu’il y ait fusion » ou saturation » du corps par le sens, il faut qu’une osmose complĂšte se produise entre la conscience et le corps. Cette osmose n’existe dans la conscience vigile ordinaire que par Ă -coups, Ă  l’occasion d’une douleur ou d’un effort musculaire intenses. Normalement nous n’avons qu’une conscience extĂ©rieure de notre corps vu comme corps-objet. Pourtant, mĂȘme cette extĂ©rioritĂ© n’est pas totale dans le rĂ©gime ordinaire de la conscience du monde, nous formons toujours une sorte de conscience implicite de notre corps comme d’un objet particulier comme dit Leibniz, il nous appartient, nous l’ avons » ; ou bien, c’est un corps de chair, sensible, comme dit Husserl. 65Steve Paxton, le chorĂ©graphe et danseur amĂ©ricain, Ă©crit La conscience peut voyager Ă  l’intĂ©rieur du corps. C’est un fait analogue Ă  celui de diriger le regard, dans le monde extĂ©rieur. Il y a aussi une conscience analogue Ă  la vision pĂ©riphĂ©rique, qui est la conscience du corps tout entier, en maintenant les yeux ouverts » Paxton 1993 62. 66Apparemment, Steve Paxton rabat le rapport conscience-intĂ©rieur du corps sur le rapport conscience-monde exĂ©rieur, comparant la conscience du corps Ă  la vision. Sa pensĂ©e, sur ce point, semble hĂ©siter car, ailleurs, il affirme que le danseur doit avoir une conscience inconsciente » afin de laisser le plus libres et spontanĂ©s possible les mouvements corporels, ce qu’une conscience uniquement consciente » et sĂ©parĂ©e ne saurait faire. 67Si la conscience peut voyager Ă  l’intĂ©rieur du corps, c’est dans le but de construire une carte de cet espace interne. Non pas comme un miroir qui reflĂšte un paysage, mais comme une topographie des trajets et des lieux de l’énergie. Seule cette carte permet au danseur d’orienter ses mouvements sans avoir Ă  les surveiller de l’extĂ©rieur comme dans l’apprentissage du ballet devant la glace, comme s’ils s’orientaient d’eux-mĂȘmes. 68Ainsi le danseur a besoin d’avoir plus qu’une conscience extĂ©rieure de son corps ; il en a une conscience de l’intĂ©rieur ». Qu’est-ce que cette modalitĂ© de conscience ? 69Dans l’article citĂ©, Paxton dĂ©crit la façon dont il a dĂ©couvert et Ă©laborĂ© la technique du Contact-Improvisation » CI. L’un des premiers exercices qu’il proposait Ă  ses Ă©tudiants lorsqu’il cherchait encore sa mĂ©thode consistait Ă  leur dire, pendant qu’ils se tenaient debout, immobiles Imaginez, mais ne le faites pas, imaginez que vous ĂȘtes sur le point d’avancer d’un pas avec votre pied gauche. Quelle est la diffĂ©rence, par rapport Ă  la situation antĂ©rieure ? Imaginez
 rĂ©pĂ©tez. Imaginez que vous ĂȘtes sur le point d’avancer d’un pas avec votre pied droit. Avec votre pied gauche. Droit. Gauche. ArrĂȘtez. » 70Paxton commente ainsi l’expĂ©rience ArrivĂ©s Ă  ce point, de petits sourires apparaissent parfois sur les visages des gens, ce qui me fait croire qu’ils avaient senti l’effet. Ils Ă©taient partis faire une promenade imaginaire, et avaient senti leur poids rĂ©pondre subtilement mais rĂ©ellement Ă  l’image ; ainsi, lorsque je disais “ArrĂȘtez”, les sourires rĂ©vĂ©laient qu’ils avaient compris ma petite plaisanterie. Ils s’apercevaient que je connaissais l’effet. Nous Ă©tions arrivĂ©s ensemble Ă  un endroit invisible mais rĂ©el » ibid.. 71Les mots image », imagination », imaginaire » gĂȘnent Steve Paxton, qui a tendance Ă  les refuser, allant jusqu’à affirmer que les images Ă©taient censĂ©es ĂȘtre, eh bien, “rĂ©elles”. C’est-Ă -dire, elles n’étaient pas censĂ©es ĂȘtre clairement irrĂ©elles obviously unreal » ibid.. 72D’oĂč vient l’embarras du chorĂ©graphe ? De ce que les mouvements des jambes collent aux images et ne sont pas seulement suscitĂ©s par elles. Ou plutĂŽt les images des mouvements des jambes ne sont pas que des reprĂ©sentations mentales, mais engagent le corps rĂ©el ; ses mouvements rĂ©els, bien que microscopiques, s’accompagnent de sensations de poids, de tensions, etc. 73Ce n’est donc pas un corps imaginaire qui bouge ainsi, mais un corps rĂ©el » bien que non actuel ». L’effet des images sur le corps relĂšve de ces mouvements qui composent ce que Steve Paxton appela la petite danse » the small dance La petite danse est le mouvement accompli dans l’acte mĂȘme de se tenir debout ce n’est pas un mouvement consciemment dirigĂ©, mais peut ĂȘtre consciemment observĂ© 2. » C’est le mouvement microscopique que nous dĂ©couvrons Ă  l’intĂ©rieur de notre corps et qui le maintient debout. Steve Paxton considĂšre que la small dance est la source premiĂšre de tout mouvement humain, puisque c’est elle qui nous soutient dans la station debout. Avoir conscience de l’intĂ©rieur du corps commence par l’ observation » de la small dance en nous. 74Or, avoir conscience des mouvements internes produit deux effets la conscience amplifie l’échelle du mouvement, le danseur ressentant sa direction, sa vitesse et son Ă©nergie comme s’il s’agissait de mouvements macroscopiques ; et la conscience elle-mĂȘme change, cessant de se tenir Ă  l’extĂ©rieur de son objet pour le pĂ©nĂ©trer, l’épouser, s’en imprĂ©gner la conscience devient conscience du corps, ses mouvements, en tant que mouvements de conscience, acquiĂšrent les caractĂ©ristiques des mouvements corporels. Bref, le corps remplit la conscience de sa plasticitĂ© et de sa continuitĂ© propres. Ainsi se forme une espĂšce de corps de la conscience » l’immanence de la conscience au corps Ă©merge Ă  la surface de la conscience et en constitue dĂ©sormais l’élĂ©ment essentiel. 75La conscience du corps, comme mode de conscience diffĂ©rent de la conscience rĂ©flexive, est Ă  l’Ɠuvre partout oĂč le corps entre en action dans la danse, le sport, la relaxation, les arts martiaux, le processus de crĂ©ation artistique, le simple fait de se toucher ou de se voir. En vĂ©ritĂ©, la conscience du corps est prĂ©sente dans toute forme de conscience voilĂ  pourquoi Steve Paxton tantĂŽt compare cette forme de conscience Ă  la vision, tantĂŽt en fait un sous-systĂšme » d’organes du corps, au mĂȘme titre que d’autres par exemple, des parties du corps qui respirent » pendant que la conscience les observe, Paxton 1993 62 ; ou encore, on le verra plus loin, il les considĂšre comme l’équivalent de mouvements non conscients du corps. 76La vision, par exemple, tenue pour le plus intellectuel des sens, posant son objet Ă  distance, comporte toujours un Ă©lĂ©ment haptique, comme on le sait aujourd’hui ; et, dans cette propriĂ©tĂ© d’un toucher spĂ©cifique de la vision, c’est tout le corps avec sa masse, sa texture, sa peau qui entre en contact avec l’objet Ă  travers la vue – Ă©valuant ainsi la texture, la masse, la surface de l’objet vu. Ici aussi, seule l’imprĂ©gnation de la conscience par le corps permet la vision Ă  distance ». 77Or, c’est la conscience du corps dans la danse qui conditionne le destin mĂȘme du mouvement, le transformant en mouvement dansĂ©. Car c’est la conscience du corps qui tisse le plan de mouvement propre Ă  la danse, le plan d’immanence de la danse. La communication inconsciente des corps 78Prenons un exercice de base » du CI le TĂȘte-Ă -tĂȘte » Head-to-Head, qui suit en gĂ©nĂ©ral, dans l’apprentissage de la technique du contact, le Se tenir debout » Standing. 79Auparavant, rappelons que le CI est une forme de danse qu’on a dĂ©jĂ  appelĂ©e sport-danse ou danse minimale qui se fonde sur le contact entre deux corps une communication s’établit entre eux, telle qu’une sorte de dialogue commence oĂč le mouvement de chacun des partenaires s’improvise Ă  partir des questions » posĂ©es par le contact de l’autre ; rĂ©ponse » improvisĂ©e, mais qui dĂ©coule du type de perception que chacun a du poids, du mouvement et de l’énergie de l’autre ; rĂ©ponse » donnĂ©e dans un mouvement encore et toujours de contact qui engendre une nouvelle question » pour le partenaire, et ainsi de suite. Les corps glissent les uns sur les autres, s’enroulent, se jettent les uns sur les autres, roulent par terre, se tiennent dos Ă  dos, etc. Tout le mouvement a son origine dans le poids et l’équilibre des corps ou, plutĂŽt, dans le dĂ©sĂ©quilibre imminent des positions le mouvement d’un danseur crĂ©e cette demande Ă  laquelle le corps de l’autre donnera une rĂ©ponse selon la pente du poids et de l’énergie qui lui conviendra le mieux. L’énergie doit couler, le mouvement fluer le plus aisĂ©ment possible, le danseur choisira souvent la pente qui lui semblera satisfaire ces requisits. 80Il est clair que le contact de deux corps en mouvement, Ă  la fois agissant selon les stimuli de l’autre et improvisant, crĂ©e un type de corps et de mouvements qui fait toute la singularitĂ© du CI. 81Le TĂȘte-Ă -tĂȘte met en contact deux tĂȘtes. La surface de contact est identique pour les deux partenaires comme dans tout mouvement de CI. A travers le point du toucher dans le TĂȘte-Ă -tĂȘte, chaque danseur peut sentir la small dance de l’autre personne. C’est l’observation directe et l’expĂ©rience du mouvement inconscient de l’esprit unconscious movement-mind de l’autre. Chaque danseur est conscient que sa small dance est en train d’ĂȘtre sentie par l’autre. C’est une connexion complexe, qui semble impliquer de multiples niveaux sensoriel, mental et rĂ©flexe, et qui naĂźt du toucher de deux tĂȘtes. C’est l’introduction et le modĂšle du toucher partout ailleurs dans le corps » Paxton 1996 50. 82Deux aspects nous importent particuliĂšrement d’abord, le TĂȘte-Ă -tĂȘte et donc tout contact dans le CI suscite une expĂ©rience inconsciente des mouvements small dance et autres du partenaire ; ensuite, on peut considĂ©rer ce type d’expĂ©rience comme le modĂšle de la communication » des corps dans le CI. 83Car il s’agit bien d’une communication un peu spĂ©ciale, plutĂŽt d’une osmose Paxton l’appelle mutuelle » ou rĂ©ciproque ». Or, cette osmose intensifie l’expĂ©rience du toucher de chaque danseur L’expĂ©rience est entiĂšrement personnelle en ce qui concerne le toucher. Elle comporte les impressions sensorielles, et les sentiments sur ces impressions. Ça peut comprendre l’histoire personnelle de chacun, des sentiments sur cette histoire, des fantaisies, etc. C’est l’expĂ©rience, et puis l’expĂ©rience de cette expĂ©rience. E-au-carrĂ©. [
] Cependant, si deux esprits sont centrĂ©s sur le mĂȘme phĂ©nomĂšne toucher, musique, paroles, quelque chose arrive qui ressemble beaucoup Ă  une expĂ©rience rĂ©ciproque mutuality of experience. C’est comme avoir accĂšs Ă  un autre esprit. Non pas lire la pensĂ©e d’autrui, comme nous l’imaginons, car nous ne savons pas ce que cet esprit ressent ; [nous savons] seulement que c’est du sentir, centrĂ© sur le toucher commun, qui a lieu. Autrement dit, si l’on admet que notre expĂ©rience sensorielle dĂ©rive de notre point de vue, dans la rĂ©ciprocitĂ© mutuality nous avons une expĂ©rience d’un autre ordre E-au-carrĂ© plus E-au-carrĂ©. Dans ce type de rĂ©ciprocitĂ©, la vitesse de transmission et de retransmission est suffisamment rapide pour s’inscrire dans notre intention et stimuler nos rĂ©flexes. Cela affecte le cours de la danse sans une dĂ©cision consciente de notre part » ibid.. 84Steve Paxton cherche Ă  dĂ©crire le mĂ©canisme le plus simple d’intensification de l’énergie lorsque, comme disait Spinoza, deux corps se rencontrent et s’affectent l’un l’autre ici, par contact ; et seul l’accroissement, et non la diminution de l’énergie, intĂ©resse Paxton. Qu’est-ce qui se passe lorsque deux corps entrent en contact ? Ils gagnent tous deux en intensitĂ©. Pourquoi ? Parce que, grĂące Ă  une communication inconsciente d’expĂ©riences, chaque corps accueille l’expĂ©rience de l’autre. 85Le langage trĂšs empirique, voire positiviste, de Steve Paxton ne l’empĂȘche pas de repĂ©rer des phĂ©nomĂšnes qui exigent d’autres concepts pour ĂȘtre explicitĂ©s. 86La rĂ©ciprocitĂ© » implique bien un accroissement de l’énergie c’est un Ă©vĂ©nement puissant – ces rĂ©ciprocitĂ©s ressenties crĂ©ent des possibilitĂ©s sur lesquelles se fondent des efforts communs qui vont des sports Ă  la culture en gĂ©nĂ©ral. Et, dans le registre de la peur, le comportement de la foule » ibid.. 87Comment se transmettent ces Ă©nergies ? ImmĂ©diatement, par contact, et inconsciemment. Mais, comme on l’a vu, l’inconscience du contenu transmis se double de la conscience du processus de transmission. Mieux paradoxalement, c’est la conscience mĂȘme du contact des tĂȘtes ou des corps qui permet ou provoque la communication » entre inconscients. Steve Paxton l’affirme clairement Savoir qu’on touche et qu’on est touchĂ© accompagne la conscience awareness que le mĂȘme processus est en train de se dĂ©rouler Ă  l’intĂ©rieur de la personne avec qui on danse » ibid.. 88Autrement dit, la conscience du corps dans le contact intĂšgre la conscience que l’autre vit la mĂȘme expĂ©rience de contact la conscience du contact qu’a un danseur contient non l’expĂ©rience de l’autre, mais la conscience qu’il en a et qui est la conscience que le premier danseur a la mĂȘme expĂ©rience que la sienne. Bref, je sais qu’il sait que je sais qu’il sait. 89Ces empiĂštements de consciences des deux partenaires danseurs, loin de les enfermer dans un stĂ©rile rapport en miroir, ouvrent leurs consciences au passage des inconscients. Car il ne s’agit pas de consciences pures » mais de consciences du corps ». Le contact de deux corps suscite une sorte de double effet sur la conscience du danseur d’une part elle subit une imprĂ©gnation de son propre corps du fait de se trouver centrĂ©e sur le point de contact ; et d’autre part, elle Ă©chappe Ă  elle-mĂȘme, se dĂ©centre de soi, se trouvant inexorablement attirĂ©e vers l’autre conscience du corps qui a tendance Ă  l’imprĂ©gner elle aussi, Ă  se mĂ©langer avec elle. Et rĂ©ciproquement cela produit une osmose intensive, comme un effet d’accumulation et d’avalanche dans l’imprĂ©gnation mutuelle. 90S’échapper Ă  soi-mĂȘme, c’est s’ouvrir Ă  un mouvement imparable qui va laisser passer des contenus inconscients. D’oĂč tous ces Ă©tourdissements, vertiges, pertes du sens de l’orientation, voire des Ă©pisodes psychotiques qui arrivent pendant les exercices de CI la tendance Ă  s’échapper Ă  soi peut ĂȘtre vĂ©cue comme absorption de son corps par la conscience de l’autre, etc. Cela ne vient pas seulement de ce que le corps se trouve sans cesse dans des positions de quasi-Ă©quilibre tout Ă  fait inhabituelles – tĂȘte en bas, par exemple ; mais si ces positions peuvent avoir des effets si intenses c’est parce que les consciences s’ouvrent Ă  la communication des inconscients. 91Une osmose des consciences du corps se forme Ă  partir du je sais qu’il sait que je sais
 ». Si bien que le danseur, dans le TĂȘte-Ă -tĂȘte, ne sait plus oĂč est ou a sa tĂȘte – et c’est cela l’ouverture Ă  l’inconscient ; c’est cela l’intensification de sa conscience du corps ce que Steve Paxton appelle E-au-carrĂ© plus E-au-carrĂ© ». La conscience du corps, les trous, la communication 92S’il y a ouverture Ă  l’inconscient qui se transmet sans que la conscience connaisse les contenus transmis, c’est qu’un dynamisme particulier de la conscience du corps de chaque danseur commence alors, dont il faut souligner un aspect la conscience s’ouvre, se dĂ©centre, perd ses repĂšres, se remplit de trous ». L’idĂ©e des trous qui peuplent la conscience du corps et la conscience tout court revĂȘt suffisamment d’importance pour que Steve Paxton crĂ©e l’image d’une conscience-gruyĂšre, trouĂ©e Ă  la façon du fameux fromage suisse, et tente de la proposer comme modĂšle de fonctionnement de la conscience working model for consciousness Paxton 1993 65. 93Les trous ou intervalles gaps existent dĂ©jĂ , en fait, dans toute conscience du corps. On peut on doit, selon Paxton les remplir, s’efforçant d’acquĂ©rir une pleine conscience de ce qui se passe entre deux moments de la conscience qui ne se relient pas, c’est-Ă -dire oĂč un trou s’ouvre. Mais qu’arrive-t-il dans ces moments oĂč la conscience manque ? Mon hypothĂšse, c’est que les trous sont des moments oĂč la conscience s’en va. Je ne sais pas oĂč elle va. Mais je crois savoir pourquoi. Quelque chose se produit qui est trop rapide pour la pensĂ©e » ibid. 50. Ou bien, dans le texte dĂ©jĂ  citĂ©, la vitesse de transmission et de retransmission [des contenus inconscients dans le contact] est suffisamment rapide pour s’inscrire directement dans notre intention et stimuler nos rĂ©flexes. Cela affecte le cours de la danse sans qu’une dĂ©cision consciente soit prise par nous ». Remarquons en passant que S. Paxton admet qu’un contenu inconscient se loge au sein mĂȘme de l’intention qui, pour la phĂ©nomĂ©nologie, constitue l’essence mĂȘme de la conscience
. 94Bref, le contact des corps produit des mouvements – que Paxton a tendance Ă  caractĂ©riser comme mouvements rĂ©flexes – qui vont trop vite pour la pensĂ©e. Et cela creuse un trou dans la conscience. La conscience du corps se crible de trous, comme un gruyĂšre. Mais en mĂȘme temps – et c’est l’autre aspect du dynamisme de la conscience dans le CI –, les trous tendent Ă  se remplir, le danseur cherchant Ă  avoir une conscience pleine et continue full consciousness des mouvements corporels. Cette conscience pleine entraĂźne l’élargissement de la carte des mouvements ; il ne faut pas que les mouvements restent inconscients dans ce trou de conscience, car ils risquent de rester incrustĂ©s embedded dans le mouvement comme une partie du sentiment global du mouvement » Paxton 1993 63. 95Comment caractĂ©riser ces mouvements qui, par leur extrĂȘme vitesse, Ă©chappent Ă  la conscience ? Ce sont des mouvements virtuels. La description de Paxton Ă©pouse curieusement la dĂ©finition que Deleuze donne du mouvement virtuel Ils sont dits virtuels en tant que leur Ă©mission et absorption, leur crĂ©ation et destruction se font en un temps plus petit que le minimum de temps continu pensable, et que cette briĂšvetĂ© les maintient dĂšs lors sous un principe d’incertitude ou d’indĂ©termination » Deleuze & Parnet 1996 179. 96Que les mouvements de la communication dansĂ©e soient virtuels ne les empĂȘche pas de s’actualiser en devenant conscients. Mais il est exclu que tous les mouvements virtuels deviennent actuels. 97RĂ©sumons c’est grĂące aux trous ou vacuoles de conscience qu’une communication s’établit entre inconscients. Ces vacuoles, dĂ©jĂ  prĂ©sentes dans la conscience ordinaire, acquiĂšrent une prĂ©gnance perceptive Ă  la conscience du corps, dans le CI car, comme on a vu, le contact ouvre la conscience Ă  un empiĂštement ou imprĂ©gnation qui laisse passer d’un corps Ă  l’autre des contenus inconscients de mouvement je sens la small dance de l’autre parce que je m’imprĂšgne de la conscience du corps de l’autre qui sait que je sais qu’il sait – ce qui imprĂšgne encore ma conscience du corps de la conscience du corps de l’autre. 98Ainsi se forme, dans le CI, un plan unique de mouvement virtuel de deux corps qui communiquent » inconsciemment de telle façon qu’on peut parler d’ un seul corps qui bouge ». Cependant, ce corps unique – c’est-Ă -dire les corps qui roulent, agissent et rĂ©agissent les uns aux autres toujours en contact, improvisant leurs mouvements – constitue bien plutĂŽt un plan de mouvement unique ou collectif virtuel sur lequel de multiples corps dansent actuellement, c’est-Ă -dire accomplissant des mouvements actuels. Le plan virtuel, c’est le plan de l’osmose des mouvements inconscients virtuels ; les mouvements des corps sont actuels mais se dĂ©ploient exclusivement maintenant sur le plan du mouvement virtuel – celui-ci seul garantit la cohĂ©rence et la consistance de leurs gestes, le nexus de leurs Ă©volutions et dĂ©placements. 99Ne pas oublier que le mouvement des corps n’est pas que physique Lorsque nous avons affaire Ă  des aires sensibles [dans le contact des corps] quelles qu’elles soient, nous devons danser de maniĂšre sensible [
]. Ce n’est pas seulement Ă  du mouvement que nous rĂ©pondons. Le mouvement est une surface physique couvrant des temps entiers de vie et des expĂ©riences totalement inconnaissables » Paxton 1996 51. C’est tout cela qui compose les contenus inconscients qui se transmettent dans l’osmose des corps. 100On voit comment le CI construit le plan du mouvement immanent la fusion » ici est double, entre la conscience et le corps, et entre deux corps Ă  travers leur osmose inconsciente et l’osmose des consciences du corps. Fusion » qui n’implique pas perte de la singularitĂ©, puisque chaque corps ne reçoit et n’émet de l’énergie que selon ce qui lui convient le mieux de l’autre corps qui facilite et intensifie le flux de sa propre Ă©nergie. Il y a des corps qui se conviennent mieux que d’autres, dans le CI. 101L’improvisation – aspect que nous n’avons pas examinĂ© – marque l’affirmation de la singularitĂ© dans cette technique de la danse. 102En fait, le plan de mouvement construit l’immanence en transformant tout sens conscient expressif, reprĂ©sentatif, etc. en mouvement qui Ă©merge Ă  la surface des corps ; et il change le sens inconscient en mouvement virtuel de communication et d’osmose entre inconscients – il faudrait parler ici d’ inconscients du corps ». 103VoilĂ  qui rend infini le mouvement du plan et Ă©galement les mouvements actuels dans la mesure oĂč ils se prolongent dans les mouvements virtuels aucun mouvement ne finit Ă  un endroit prĂ©cis de l’espace objectif, celui-ci – que ce soit une scĂšne de théùtre classique ou autre – n’arrĂȘte jamais les mouvements des danseurs, comme jamais les limites de leur corps propre n’empĂȘchent leurs gestes de se prolonger au-delĂ  de leur peau. CrĂ©dits photos C. Audureau ‱ A. Poupeney Nuit de la dansePaquita Vivace Lou Intro chorĂ©graphies Joseph Mazilier Alban Richard MickaĂ«l Phelippeau Mellina Boubetra DURÉE ± 2 H AVEC ENTRACTE GRANDE SALLE TARIF 9 € Pantomime, baroque, hip-hop et contemporaine, la danse dans tous ses Ă©tats se fĂȘte le temps d’une folle soirĂ©e, avec quatre propositions et un plateau d’interprĂštes entiĂšrement fĂ©minin. À dĂ©guster sans modĂ©ration. En ouverture de soirĂ©e, les Ă©lĂšves des ateliers chorĂ©graphiques du ChĂąteau Coquelle reprennent, dans le cadre du dispositif Danse en amateur et rĂ©pertoire », un court extrait du cĂ©lĂšbre ballet pantomime Paquita créé Ă  l’OpĂ©ra de Paris en 1846. Pour Lou, le chorĂ©graphe MickaĂ«l Phelippeau dessine le portrait de la danseuse Lou Cantor, jeune interprĂšte formĂ©e par BĂ©atrice Massin, spĂ©cialiste de la danse baroque. Chaque Ă©lĂ©ment dĂ©posĂ© dans l’espace de jeu, partition, pas, musique, costume, permet de reconstituer le tableau. En soulignant malicieusement chaque geste, position des pieds, des jambes, des bras, des mains, Lou finit par raconter l’histoire d’un corps construit par et pour la danse, de l’enfance Ă  l’ñge adulte. Nous plongeons ensuite dans Vivace, piĂšce irrĂ©sistible Ă  l’énergie contagieuse d’Alban Richard. Sur des musiques trĂšs variĂ©es aux rythmes toujours enlevĂ©s, la danse se dĂ©ploie comme dans un jeu musical et chorĂ©graphique. PortĂ©es par la pulsation, les deux danseuses deviennent les corps vivaces d’une performance jubilatoire, tout en vitalitĂ©, acharnement et persistance. Enfin, pour le trio Intro, Mellina Boubetra pose un regard singulier sur la danse hip-hop. Puisant au plus intime de leurs sensations, les danseuses inventent sur scĂšne un vĂ©ritable dialogue chorĂ©graphique », qui alterne monologues solitaires, moments d’unisson et digressions personnelles au son d’une partition Ă©lectro en constante Ă©volution. Dans le cadre du Grand Bain ‱ Paquita durĂ©e 25 min interprĂštes Ă©lĂšves des ateliers chorĂ©graphiques du ChĂąteau Coquelle professeure de danse Christine Vandenbussche transmission Pascal Cyprien et Yannick Stephant ‱ Vivace durĂ©e 35 min collection tout-terrain du centre chorĂ©graphique national de Caen en Normandie conception, chorĂ©graphie, lumiĂšre Alban Richard créé en collaboration avec les interprĂštes Anthony Barreri, Yannick Hugron interprĂštes Camille Cau, Constance Diard musique playlist d’extraits de musique allant du baroque Ă  la pop, des musiques traditionnelles Ă  la musique Ă©lectro et dont la pulsation varie de 132 Ă  170 battements par minute rĂ©alisation du dispositif lumineux Enrique Gomez vĂȘtements Christelle BarrĂ© assistanat chorĂ©graphique DaphnĂ© Mauger conseillĂšre en analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansĂ© Nathalie Schulmann ‱ Lou durĂ©e 30 min piĂšce chorĂ©graphique de MickaĂ«l Phelippeau interprĂ©tation Lou Cantor musiques Lully – extraits des Folies d’Espagne Lully – Air pour Madame la Dauphine Rachmaninov – extraits de Folia, variations sur un thĂšme de Corelli lumiĂšre et scĂ©nographie Abigail Fowler costumes ClĂ©mentine Monsaingeon assistant lumiĂšre et rĂ©gie gĂ©nĂ©rale Thierry Charlier rĂ©gie son Emmanuel Nappey ‱ Intro durĂ©e 30 min chorĂ©graphie Mellina Boubetra interprĂ©tation Mellina Boubetra, Katia Lharaig, Allison Faye danseuses remplaçantes Rachel Cazenave, Fiona PincĂ© crĂ©ation lumiĂšre Fabrice Sarcy crĂ©ation musicale Patrick De Oliveira PAQUITA production Le ChĂąteau Coquelle. Avec le soutien du Centre National de la Danse et de la rĂ©gion Hauts-de-France. LOU Production dĂ©lĂ©guĂ©e FĂȘtes galantes Coproduction bi-p association Théùtre Paul Éluard, Bezons, dans le cadre de la rĂ©sidence artistique de FĂȘtes galantes 2017-2018. En partenariat avec le !POC! d’Alfortville Avec le soutien du Centre de dĂ©veloppement chorĂ©graphique du Val-de-Marne – La Briqueterie Avec l’aide Ă  la crĂ©ation du Conseil DĂ©partemental du Val-de-Marne Remerciements bi-p association / MickaĂ«l Phelippeau et Philippe Cantor FĂȘtes galantes est subventionnĂ©e par Le MinistĂšre de la Culture-DRAC Île de France au titre de l’aide aux compagnies conventionnĂ©es, La RĂ©gion Île de France pour l’aide Ă  la Permanence Artistique et culturelle et par le DĂ©partement du Val de Marne pour l’aide au fonctionnement. VIVACE Production dĂ©lĂ©guĂ©e centre chorĂ©graphique national de Caen en Normandie Coproduction Conseil dĂ©partemental de la Manche. Avec le soutien de la CommunautĂ© d’AgglomĂ©ration Mont-Saint-Michel Normandie Cette crĂ©ation a bĂ©nĂ©ficiĂ© du dispositif du Conseil dĂ©partemental de la Manche RĂ©sidence d’artistes dans les Ă©tablissements d’enseignements artistiques ». La version fĂ©minine de Vivace a bĂ©nĂ©ficiĂ© de la mise Ă  disposition de studios au CND – Centre national de la danse Ă  Pantin et de La Bibi Ă  Caen INTRO Production Cie ETRA Production dĂ©lĂ©guĂ©e Cie Art-Track Coproduction Prix HIP HOP GAMES 2018, Initiatives d’Artistes en Danses Urbaines – La Villette Le Flow – Ville de Lille Summer Dance Forever – Hollande Cie Victor B et Lezarts Urbains – Belgique Centre ChorĂ©graphique National Roubaix hauts-de-France – Sylvain Groud dans le cadre de l’accueil-studio CCN de la Rochelle – Kader Attou PĂŽle Pik – Bron CCN de CrĂ©teil et du Val-de-Marne – Compagnie KĂ€fig – direction Mourad Merzouki dans le cadre de l’Accueil Studio Danse Ă©largie 2020 L’Avant-ScĂšne – Colombes Soutiens Institut Français ADAMI DRAC Île de France MinistĂšre de la Culture Partenaires La Fabrique de danse Collectif ZOOOM – Clermont Ferrand La Manufacture – Incubateur chorĂ©graphique Vendetta Mathea Compagnie Dyptik Trans’urbaines – Clermont Ferrand La Briqueterie Centre de dĂ©veloppement chorĂ©graphique national du Val-de-Marne Théùtre Louis Aragon – Tremblay-en-France Le Cendre – Salle les Justes Puy de DĂŽme MJC TC de Colombes CND Pantin Prix et distinctions LaurĂ©at PRIX HIP HOP GAMES 2018 LaurĂ©at Trans’urbaines 2018 Spectacle laurĂ©at du Concours chorĂ©graphique 2019 Prix CCN de CrĂ©teil – Festival Kalypso Label Passerelles 2019 RĂ©sumĂ©s La danse jouit en gĂ©nĂ©ral d’un succĂšs supĂ©rieur Ă  ceux du chant et de la musique dans le flamenco, a fortiori chez les aficionados nĂ©ophytes et/ou Ă©trangers. En outre, l’expĂ©rience de plaisir, en particulier sous sa modalitĂ© maximale qu’on nomme souvent duende, est constitutive du goĂ»t flamenco. Dans le but de comprendre ce succĂšs, cet article interroge donc la spĂ©cificitĂ© des plaisirs liĂ©s Ă  la danse flamenca, en particulier sa capacitĂ© Ă  produire du duende. À partir du moment oĂč la danse flamenca est majoritairement individuelle, tout en Ă©tant le plus souvent accompagnĂ©e de musique et de chant, ces plaisirs sont liĂ©s Ă  une recherche de libertĂ© tout autant qu’au respect des normes. Ils s’inscrivent au sein d’un jeu dialectique entre mesure et dĂ©mesure. On peut cependant montrer que le duende semble ĂȘtre atteint au prix d’un dĂ©passement de cette dialectique, au moment oĂč se produit une rĂ©sonance culturelle » caractĂ©ristique de la transe au sens oĂč Gilbert Rouget entend cette derniĂšre. In general, dance enjoys a greater success than those of singing and music in flamenco, especially among neophyte and/or foreign aficionados. Moreover, the experience of pleasure, especially under its maximum modality which is often called duende, is constitutive of flamenco taste. In order to understand this success, this article presents the specificity of the pleasures linked to flamenco dance, in particular its ability to produce duende. As flamenco dance is predominantly individual, while being most often accompanied by music and singing, these pleasures seems to be related to the search for freedom as well as to respect for the norms. They are part of a dialectical game between measure and excess. The study reveals, however, that duende seems to be achieved with overcoming this dialectic, as the “cultural resonance” which is characteristic of trance occurs in the sense in which Gilbert Rouget conceived the de page EntrĂ©es d’index Haut de page Texte intĂ©gral 1 Ce dĂ©placement du centre de la performance depuis le chant vers la danse est remarquĂ© dĂšs les annĂ©e ... 2 Amateurs, au sens de ceux qui sont passionnĂ©s, connaissent, et parfois pratiquent. 1Dans le flamenco, la danse connaĂźt depuis quelques dizaines d’annĂ©es un succĂšs supĂ©rieur au sein du genre Ă  ceux du chant et de la musique instrumentale, avec lesquels elle forme un trio1. En particulier, c’est souvent pour la seule danse qu’une grande partie des aficionados2 nĂ©ophytes et/ou Ă©trangers se dĂ©place au spectacle, commence une pratique et, parfois, dĂ©cide de changer radicalement de vie pour s’y consacrer professionnellement. Comment l’expliquer ? 3 Nous empruntons cette expression Ă  Jean-Marie Schaeffer dans Le plaisir », in HEINICH Nathalie d ... 4 Le terme, ici, est pris au sens de l’Ɠuvre qui ne fait qu’une avec l’acte qui l’engendre. 5 Au sens courant, le duende dĂ©signe depuis le XVe siĂšcle un ĂȘtre mythologique au statut ambigu, Ă  la ... 6 Lors d’une performance, les accompagnateurs de Concha Vargas lui lancent ÂĄ Que tiene duende ! » ... 7 Selon Pedro Peña, citĂ© par Bernard Leblon, dans Flamenco, Paris/Arles, CitĂ© de la musique/Actes Sud ... 2D’aprĂšs les rĂ©actions du public, la rĂ©ception flamenca fonctionne majoritairement comme un hĂ©donisme esthĂ©tique3 », c’est-Ă -dire que la valeur de la performance4 rĂ©side dans le plaisir nĂ© de la rencontre entre les propriĂ©tĂ©s internes de cette derniĂšre et les dispositions de son public. Les tĂ©moignages recueillis par nos soins montrent qu’une performance ne vaut pas si elle n’a pas fait quelque chose » aux artistes ou aux spectateurs, et quelque chose de positif. La prĂ©sence du plaisir est donc dĂ©terminante pour la constitution du goĂ»t flamenco. Plus encore, ce qu’on appelle duende dans les langages tant ordinaires que spĂ©cialisĂ©s est susceptible de jouer un rĂŽle dans le dĂ©veloppement d’un comportement passionnel ou addictif, puisque, selon nous, le duende peut ĂȘtre conçu comme un paroxysme de plaisir5. Ce pic se repĂ©rerait Ă  des indices verbaux et non verbaux – exclamations6, frissons, cheveux qui se dressent sur la tĂȘte7, pleurs, etc. – qui laissent penser que se joue alors une expĂ©rience Ă©motionnelle Ă  la fois trĂšs intense et positive, pouvant concerner tout aussi bien le spectateur que l’artiste, et s’apparentant dans certains cas Ă  un vĂ©ritable bouleversement. TrĂšs souvent, les aficionados, en particulier ceux qui sont eux-mĂȘmes artistes, s’avĂšrent capables de raconter quel choc fondateur a prĂ©sidĂ© Ă  leur plongĂ©e » dans l’univers du flamenco. Comme nous essaierons de l’établir, on peut ici parler de transe. 8 Il s’agit d’une expĂ©rience de spectatrice menĂ©e depuis 2002 et de praticienne amateure de la danse ... 3On peut dĂšs lors se demander si le succĂšs de la danse flamenca vient du fait qu’elle communiquerait au spectateur et/ou Ă  l’artiste, un plaisir spĂ©cifique, voire supĂ©rieur Ă  celui procurĂ© par le chant ou la musique. Pourtant, rien n’indique que le duende ne survienne que dans ou grĂące Ă  la danse quand celle-ci est le plus souvent accompagnĂ©e de musique et de chant. Nous nous proposons donc d’explorer ici quels sont les plaisirs de danser et de voir danser dans le flamenco, et Ă  quel niveau exactement ils sont susceptibles de participer Ă  l’advenue du duende. À partir du moment oĂč la danse flamenca, gĂ©nĂ©ralement individuelle, est le lieu d’expression d’une certaine libertĂ©, mais oĂč cette libertĂ© est toujours contrainte par la relation qu’entretient la danse avec la musique et/ou le chant ainsi que par les cadres stricts imposĂ©s au mouvement, on peut prĂ©sager que les plaisirs liĂ©s Ă  la danse dans le flamenco ressortissent Ă  la fois Ă  la dĂ©mesure et Ă  la mesure. Une tension est susceptible de s’installer entre, d’une part, la libertĂ© individuelle qui tend Ă  s’extraire du cadre dĂ©mesure, et, d’autre part, la contrainte collective qui s’exerce sur elle et tend Ă  la ramener au cadre mesure. Notre Ă©tude mettra l’accent sur les enjeux de cette dialectique en s’appuyant tant sur notre expĂ©rience personnelle8 que sur des enquĂȘtes de terrain. Celles-ci ont Ă©tĂ© menĂ©es en France et en Espagne sur une pĂ©riode de dix ans 2007-2017. Elles se composent d’entretiens menĂ©s avec des artistes, d’une attention portĂ©e au langage ordinaire des aficionados et d’observations le plus souvent participantes de moments de transmission. Ces analyses se nourrissent Ă©galement de lectures issues des domaines de la philosophie et de la flamencologie. Les plaisirs de la dĂ©mesure 9 La proprioception nous renseigne sur les positions, attitudes et mouvements de nos corps et de nos ... 10 Le plaisir de la dĂ©pense est avant tout le fait de celui qui bouge. Mais grĂące Ă  l’activitĂ© des neu ... 11 WOLFF Francis, Pourquoi la musique ?, Paris, Fayard, 2015, p. 103. 4Dans un premier temps, nous nous proposons d’isoler les plaisirs spĂ©cifiquement liĂ©s Ă  la danse de ceux qui proviennent de la musique et du chant dans le flamenco. De façon gĂ©nĂ©rale, la danse sous toutes ses formes donne accĂšs Ă  deux types de plaisir immĂ©diat qui constituent ce qu’on peut appeler les plaisirs physiques de l’agrĂ©able le plaisir sensoriel, en particulier proprioceptif9 pour le danseur et visuel pour le spectateur, ainsi que le plaisir de la dĂ©pense ou de sa simulation10. La danse autorise ainsi un plaisir pris Ă  une certaine dĂ©mesure celui de se sentir vivant, de dĂ©charger une Ă©nergie, comme s’il s’agissait de sortir de soi, donc d’exister au-delĂ  des frontiĂšres corporelles ordinaires, dans ce que Francis Wolff appelle une expansion du corps », un plus d’ĂȘtre11 ». De façon particuliĂšre, ces deux types de plaisirs sont exacerbĂ©s dans le flamenco, puisqu’ils s’y transforment souvent en plaisir sensuel et en plaisir de la fĂȘte plaisirs que le danseur montre, voire ressent, et qui peuvent gĂ©nĂ©rer dans certains cas du plaisir par empathie chez le spectateur. 12 ESTÉBANEZ CALDERÓN SerafĂ­n, Escenas andaluzas, Madrid, ColecciĂłn de escritores castellanos, 1883, p ... 13 Ibid. 14 Cf. DÉCORET-AHIHA Anne, Les danses exotiques en France 1880-1940, Pantin, Centre National de la Dan ... 15 Cf. cette photo de Pastora GalvĂĄn et de Bobote 5Concernant le plaisir sensoriel, signalons que l’image d’une danse propice aux jouissances sensuelles est une constante de l’histoire des reprĂ©sentations du flamenco, en particulier dans son versant fĂ©minin. À la fin du XIXe siĂšcle, dans ce qui constitue sans doute l’une des premiĂšres descriptions de danseuse flamenca, EstĂ©banez CalderĂłn parlait dĂ©jĂ  d’une Terpsichore dangereuse12 » rĂ©vĂ©lant par ses mouvements les dĂ©lires du plaisir13 », oĂč le terme de plaisir » se rĂ©fĂšre manifestement aux plaisirs de la chair ». Il mentionne les provocations piquantes, l’ardeur, le tempĂ©rament de feu et la voluptĂ© de la femme, au sein d’une atmosphĂšre globale de sĂ©duction. On trouve le mĂȘme genre de descriptions au sein des rĂ©cits des Ă©crivains-voyageurs Ă©trangers venus dĂ©couvrir l’Espagne Ă  cette pĂ©riode. On peut certes souligner les limites d’un tel discours. Ce dernier se montre souvent travaillĂ© par une ambiguĂŻtĂ© avec force hyperboles, il hĂ©site rĂ©guliĂšrement entre les lexiques du divin, de l’animal et du diablesque14 et rĂ©vĂšle ainsiun regard partagĂ© entre l’éloge du sensuel et la mĂ©fiance envers le proprement sexuel, donc entre valorisation de la danseuse – dont on reconnaĂźt qu’elle montre, Ă©prouve ou procure un plaisir physique et une Ă©motion esthĂ©tique –, et mĂ©pris – Ă  cause de l’image d’obscĂ©nitĂ© Ă  laquelle on l’a associĂ©e. Mais une fois mise de cĂŽtĂ© la moralisation opĂ©rĂ©e par ce regard exotisant, il faut bel et bien reconnaĂźtre la rĂ©elle tendance Ă  l’hyper-expressivitĂ© que comporte la danse flamenca, en particulier son hyper-sensualitĂ©, dont on verrait certains signes dans les torsions, contorsions, regards intenses et postures Ă©vocatrices de jeux sexuels15. 16 Battue du rythme par les mains et les pieds. 17 On exĂ©cute gĂ©nĂ©ralement des types de flamenco joyeux et rapides comme le tango, la bulerĂ­a et la ru ... 18 C’est ce qu’on appelle la juerga de señoritos. 6Cependant, encore faut-il prĂ©ciser que, selon les contextes, le plaisir liĂ© Ă  cette hyper-sensualitĂ© tendra tantĂŽt Ă  ĂȘtre seulement montrĂ©, tantĂŽt Ă  ĂȘtre Ă©galement ressenti par la danseuse. La fĂȘte privĂ©e traditionnelle, ou juerga, consiste en une rĂ©union privĂ©e au cours de laquelle les participants se disposent en cercle pour chanter, jouer de la guitare et exĂ©cuter las palmas16. Chacun a la possibilitĂ© de sortir du cercle et se placer en son centre afin de danser17. L’individu est alors soutenu par le rythme créé par la communautĂ©, de sorte qu’il est difficile de distinguer entre agent et spectateur. Au cours de l’histoire du flamenco, des fĂȘtes de deux types ont Ă©tĂ© pratiquĂ©es. L’une met en jeu des rapports monĂ©taires les flamencos ont Ă©tĂ© employĂ©s au XIXe siĂšcle et jusque dans les annĂ©es 1960 pour animer des soirĂ©es, comme celles de la bourgeoisie andalouse18. La pratique du flamenco par les artistes correspondait alors moins Ă  une recherche du plaisir qu’au besoin de se nourrir. Le plaisir Ă©tait davantage montrĂ© que ressenti. L’autre type de fĂȘte, librement choisi et non rĂ©munĂ©rĂ©, est communautaire, familial et/ou amical. Le plaisir est alors susceptible d’ĂȘtre au moins autant ressenti que montrĂ©. 19 GÓMEZ-GARCÍA PLATA Mercedes, La juerga flamenca le plaisir du duende », in SALAÜN Serge, ÉTIENV ... 20 Ibid. 7Par ailleurs, Mercedes GĂłmez-GarcĂ­a Plata19 a bien mis en valeur le fait que dans ce deuxiĂšme cas, s’ajoute au plaisir des sens un plaisir de nature social. Ce deuxiĂšme type de plaisir s’appuie lui aussi sur une certaine dĂ©mesure, puisqu’il s’origine dans une transgression par rapport aux normes de la communautĂ©. En effet, au sein de la fĂȘte, la danse est l’expression artistique traditionnellement dĂ©volue Ă  la femme andalouse, laquelle passe du statut de mĂšre et d’épouse Ă  celui de sĂ©ductrice, quand le chant est rĂ©servĂ© aux hommes. La dĂ©pense, le don de soi effectuĂ© par la femme, se fait alors au profit d’un changement d’identitĂ© qui est aussi un gain de libertĂ©, donc de pouvoir et de plaisir20. C’est d’ailleurs ce gain de pouvoir, comme l’a dit trĂšs justement Georges Bataille, qui donne son sens au don 21 BATAILLE Georges, La part maudite, Paris, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 115. Le don a la vertu d’un dĂ©passement du sujet qui donne, mais en Ă©change de l’objet donnĂ©, le sujet approprie le dĂ©passement il envisage sa vertu, ce dont il eut la force, comme une richesse, comme un pouvoir qui lui appartient dĂ©sormais21 ». 22 Ceux qui soutiennent le rythme par des battements de mains et de pieds. 23 L’espagnol dit para atrĂĄs », que l’andalou contracte en pa’trĂĄs ». 24 On parle par exemple de tocar para bailar » jouer pour danser ». 8En revanche, en contexte scĂ©nique, ce plaisir social tend Ă  s’estomper le groupe formĂ© par les artistes est moins dĂ©terminĂ© par une sociabilitĂ© privĂ©e que par des impĂ©ratifs professionnels. Pourtant, le flamenco de théùtre partage avec celui des juergas la mĂȘme attribution d’un rĂŽle leader Ă  la danse, ce qui transparaĂźt dans l’organisation spatiale. Dans la juerga, celui qui danse est au centre du cercle. Sur la scĂšne de théùtre, il se situe devant le chanteur, le guitariste et les palmeros22, lesquels forment souvent un demi-cercle en fond de scĂšne. On dit d’ailleurs de ces derniers qu’ils accompagnent » la danse, qu’ils jouent derriĂšre23 » ou pour24 » la danse, le rĂŽle attribuĂ© Ă  celle-ci Ă©tant prioritaire. Donc Ă  cause Ă  la fois de son aspect spectaculaire et de ce leadership, la danse flamenca est invariablement le lieu d’un plaisir pris Ă  l’affirmation de soi. Et en vertu de sa grande accessibilitĂ©, elle autorise Ă©galement chez le public, en particulier nĂ©ophyte, un plaisir immĂ©diat. 9Au bilan, penser la spĂ©cificitĂ© du plaisir de danser dans le flamenco consiste ainsi Ă  penser un plaisir basĂ© sur des actes avant tout individuels qui prĂ©sentent une tendance Ă  la dĂ©mesure. Celle-ci consiste en une libĂ©ration Ă  la fois physique, esthĂ©tique et sociale. Cependant, on peut constater que la performance flamenca ne cĂšde jamais au dĂ©bordement complet, ce qui nous amĂšne Ă  penser que la libĂ©ration n’est que le pendant des contraintes qui la restreignent et maintiennent ainsi un ordre. Nous allons donc dĂ©fendre dans un deuxiĂšme temps l’hypothĂšse selon laquelle le plaisir pris Ă  la dĂ©mesure est nĂ©cessairement dĂ©pendant de la mesure inhĂ©rente Ă  ce cadre, et mĂȘme que cette mesure suscite en elle-mĂȘme du plaisir. Les plaisirs de la mesure 25 Une exception est le ballet flamenco » qui comprend un corps de ballet. On trouve aussi dans d’au ... 26 Percussion des pieds. 27 Ce caractĂšre mesurĂ© serait moins fort en l’absence de danse. La plupart des chants flamencos sont a ... 10Bien que la danse soit le plus souvent soliste25 dans le flamenco, celle-ci s’inscrit dans un cadre collectif auquel appartiennent le chant et la guitare. Il existe une interdĂ©pendance entre chant, musique et danse, voire un co-engendrement des uns par les autres. Musique et mouvement s’entre-dĂ©terminent donc en permanence. Les mouvements du corps sont le plus souvent des effets produits par le chant et la musique, et en retour la danse suscite de la musique. Cette entre-dĂ©termination s’exprime en particulier au moyen d’un systĂšme de communication fondĂ© sur une alternance appel/rĂ©ponse entre les diffĂ©rents acteurs, de sorte qu’on peut dire qu’ils s’interprĂštent les uns les autres. Par exemple, pendant la letra, strophe du chant, le danseur effectue des dĂ©placements peu sonores qui respectent cette derniĂšre et en marquent les accents, puis une fois la letra achevĂ©e, la llamanda du danseur, un appel qui prend la forme d’une percussion des pieds, suscite sa reprise. Plus encore, deux faits rendent particuliĂšrement arbitraire la distinction entre chant, musique et danse. PremiĂšrement, les mouvements effectuĂ©s par les musiciens et chanteurs et ceux effectuĂ©s par les danseurs sont parfois identiques par exemple, l’ouverture d’une main en tension dirigĂ©e vers le public, comme en adresse Ă  lui. DeuxiĂšmement, le danseur dans ses parties de zapateado26 se rĂ©vĂšle Ă  part entiĂšre musicien. Or, leur interdĂ©pendance ne serait pas possible sans l’existence de mesures qui regroupent chant, musique et danse, et donnent lieu Ă  diffĂ©rents plaisirs27. Quatre semblent fondamentaux. 28 WOLFF Francis, op. cit., p. 123. L’isochronie dĂ©signe alors la rĂ©gularitĂ© les intervalles entre le ... 29 Ibid. 30 Un palo dĂ©signe un type » de flamenco, comme par exemple la siguiriya, la bulerĂ­a, etc. Les palos... 31 WOLFF Francis, op. cit., p. 124. 32 Ibid. 11On retrouve tout d’abord le plaisir sensoriel, dĂ©jĂ  mentionnĂ© auparavant, mais qui apparaĂźt cette fois comme Ă©tant multimodal. Dans une musique rythmĂ©e comme l’est le flamenco, un plaisir simple qui met en mouvement est celui du plaisir pris Ă  Ă©couter la pulsation et Ă  bouger en fonction d’elle. Il s’agit du plaisir de retrouver dans la musique notre besoin d’isochronie28 ». La musique fait alors entendre hors de soi, ce qui est en soi notre mesure biologique du temps29 » et nous procure le plaisir de constater que le monde nous est familier. Au plaisir de la pulsation, se superpose Ă©galement celui du compĂĄs. Il n’existe pas de consensus sur le sens de ce terme, compris tantĂŽt comme mesure, tantĂŽt comme rythme. Nous l’entendons quant Ă  nous au sens de la cellule caractĂ©ristique de chaque palo30, dans laquelle se trouvent des temps accentuĂ©s, et qui est vouĂ©e Ă  se rĂ©pĂ©ter. Par exemple 1-2-3-4-5-6-7-8-9-10-11-12 pour la siguiriya, oĂč les temps 1, 3, 5, 8 et 11 sont trĂšs marquĂ©s, alors que les autres le sont moins. Par rapport Ă  la pulsation de base qui est strictement isochrone, le compĂĄs introduit Ă  la fois un Ă©lĂ©ment de dĂ©sordre, puisque certains battements sont accentuĂ©s et d’autres non, et un Ă©lĂ©ment d’ordre puisque les battements accentuĂ©s sont toujours prĂ©visibles31. Ce faisant, il crĂ©e une tension qu’il apaise presque aussitĂŽt. Le plaisir qui lui est associĂ© est celui de l’apaisement d’une tension32 ». À partir du moment oĂč la danse flamenca dĂ©pend de ce compĂĄs qui constitue un repĂšre de base pour toutes les instances de la performance, elle est liĂ©e au plaisir qu’il procure, lequel est bien tout Ă  la fois visuo-moteur et sonore. 12De plus, Ă©tant fondateur de la performance, le compĂĄs dĂ©termine l’harmonie de celle-ci, l’accord des diffĂ©rents acteurs entre eux et des rapports de proportion entre les sons ou entre les gestes. Il tendra notamment Ă  ancrer le bas du corps qui effectue le zapateado dans des normes temporelles strictes. Le bas du corps est alors serrĂ© et vertical. Le haut du corps pourra quant Ă  lui se laisser aller Ă  plus d’expressivitĂ©, que ce soit celle du visage, des bras ou du buste. L’ampleur et la rondeur des gestes lui reviennent. Le compĂĄs est donc Ă  l’origine d’un deuxiĂšme plaisir qui lui est associĂ© celui qui est pris Ă  la beautĂ©, voire Ă  la virtuositĂ©, qu’il s’agisse du plaisir du danseur ou de celui du spectateur. 13On peut encore faire l’hypothĂšse que la danse flamenca ne saurait se pratiquer ni s’apprĂ©cier sans une comprĂ©hension minimale de certains des autres Ă©lĂ©ments de la performance – ce qui fait intervenir la rationalitĂ© – et qu’un troisiĂšme plaisir qu’on peut dĂšs lors qualifier de cognitif lui serait associĂ© plaisir de comprendre les paroles des chants quand elles sont audibles, d’apprĂ©hender les codes de la communication entre les artistes, de pouvoir rĂ©pondre aux signes que ceux-ci adressent parfois au public, etc. 33 GÓMEZ-GARCÍA PLATA Mercedes, art. cit., p. 237. La vidĂ©o suivante en serait une illustration http ... 34 BATAILLE Georges, op. cit., p. 115. 35 Signalons cependant que les diffĂ©rences de genre s’estompent aujourd’hui. 14Enfin, si, comme cela a Ă©tĂ© mentionnĂ© dans la premiĂšre partie, la danse festive peut ĂȘtre l’occasion d’une libĂ©ration pour la femme, ce n’est jamais qu’à l’intĂ©rieur d’un cadre qui en dĂ©finit les limites strictes. En effet, c’est le cadre reconnu par la communautĂ© tout entiĂšre qui autorise la dĂ©pense au sein de la fĂȘte et, ainsi, lui assure une lĂ©gitimitĂ©. Le plaisir de la cohĂ©sion est donc au cƓur de cette pratique. Plus prĂ©cisĂ©ment, le plaisir pris par les femmes Ă  la libĂ©ration ne va pas sans le plaisir pris par les hommes, alors spectateurs, Ă  les voir rĂ©vĂ©ler leur caractĂšre Ă©rotique, mais uniquement au sein d’un cadre qu’ils dominent par leur chant33. Cela confirme l’analyse que fait Bataille concernant le mĂ©canisme d’acquisition du pouvoir dans le don. Cette opĂ©ration doit se faire sous les yeux d’un autre qui confĂšre le pouvoir de donner ou de dĂ©truire, et doit avoir un effet sur cet autre qui rĂ©sulte transformĂ© de cette dĂ©pense l’action exercĂ©e sur autrui constitue justement le pouvoir du don, que l’on acquiert du fait de perdre34 ». La dĂ©pense effectuĂ©e par la danseuse ne lui fait acquĂ©rir de la richesse que si celui qui la regarde est modifiĂ©. On peut en tirer l’idĂ©e que, dans la fĂȘte, le plaisir de la libĂ©ration ne va pas sans celui de l’intĂ©gration Ă  la communautĂ© en gĂ©nĂ©ral, et au couple en particulier, quand bien mĂȘme cette intĂ©gration n’abolirait pas le maintien des agents dans des rĂŽles hiĂ©rarchiquement dĂ©terminĂ©s35. 15On tire de l’ensemble de ces analyses l’idĂ©e que la danse flamenca, bien qu’exĂ©cutĂ©e individuellement, dĂ©pend de mesures propres au collectif qu’elle forme avec le chant et la musique, mesures qui peuvent ĂȘtre causes de quatre types de plaisir un plaisir sensoriel Ă  la fois visuel, moteur et sonore ; le plaisir apollinien de la beautĂ© ; celui de la comprĂ©hension du contenu et du fonctionnement de la performance ; et le plaisir social liĂ© au sentiment d’appartenance. La dialectique entre mesure et dĂ©mesure 16Les plaisirs de la dĂ©mesure et de la mesure doivent donc ĂȘtre pensĂ©s comme fonctionnant ensemble dans le flamenco, tels ceux de l’hyper-expressivitĂ© et de la beautĂ©, ou de la libĂ©ration et de l’appartenance sociale. Mais cela peut-il suffire Ă  rendre compte du rĂŽle que joue la danse dans l’advenue du paroxysme de plaisir que reprĂ©sente le duende ? 36 DONNIER Philippe, art. cit., § 70. 17Pour rĂ©pondre Ă  cette question, il faut se demander comment les plaisirs liĂ©s Ă  la danse sont susceptibles de s’intensifier. Le procĂ©dĂ© le plus remarquable est celui qui consiste Ă  faire jouer le rythme contre le mĂštre. Alors que le guitariste a pour rĂŽle de maintenir la mĂ©trique du compĂĄs36 », seule garante de la stabilitĂ© du collectif, le danseur possĂšde la libertĂ© de se dĂ©caler lĂ©gĂšrement par rapport Ă  la mesure musicale en retenant ou au contraire en prĂ©cipitant le geste. Dans le premier cas, ceci crĂ©e une impression de dilatation du temps. Le danseur donne du poids et de la densitĂ© au geste, afin que, prĂ©sentant une certaine rĂ©sistance, ce dernier se place “en arriĂšre” du temps. Dans le deuxiĂšme cas, tout est fait pour que le geste, plus rapide, moins profond, quasi elliptique, se place “en avant” du temps. Les dĂ©calages sont seulement infimes en aucun cas, il ne s’agit de sortir de la mesure et de subvertir la limite qu’elle reprĂ©sente. 37 MEYER Leonard B., Émotion et signification en musique [1956], Arles, Actes Sud, 2011. 38 Ce courant de la psychologie apparaĂźt Ă  la fin du XIXe siĂšcle en Allemagne et dĂ©fend l’idĂ©e que le ... 18En introduisant des variantes crĂ©atrices d’intensitĂ© Ă  cause de l’irrĂ©gularitĂ© des accentuations, le jeu avec le rythme crĂ©e une tension qui ne diminuera qu’au moment oĂč le spectateur constatera que les diffĂ©rents acteurs sont bel et bien ensemble, ce qui le soulagera. L’interjection bien connue ”OlĂ© !“ pourra ponctuer la performance d’une marque d’approbation. Comme l’a bien montrĂ© Leonard B. Meyer37 en s’appuyant sur la psychologie de la forme38, c’est un tel suspense qui est Ă  l’origine du plaisir musical. Un phĂ©nomĂšne de frottement constant, voire d’opposition entre dĂ©mesure et mesure au sein de la performance, crĂ©e des situations de tensions, d’incertitude, d’attente, donc de manque dont la rĂ©solution gĂ©nĂšre du plaisir. 39 MEYER Leonard B., op. cit., p. 73. 19On peut mĂȘme dire que le plaisir s’intensifie. Par comparaison avec le jeu entre ordre et dĂ©sordre qu’implique dĂ©jĂ  le compĂĄs, celui qui se produit avec le rythme complexifie le rapport entre mesure et dĂ©mesure et introduit plus de dĂ©lai dans la satisfaction il faut attendre la clĂŽture de toute la sĂ©quence de danse pour que la tension se rĂ©solve. Or l’intensitĂ© de la satisfaction est proportionnelle Ă  la charge de tension accumulĂ©e39. Donc plus le danseur fera croĂźtre la tension en jouant avec le rythme, plus le plaisir sera susceptible d’ĂȘtre grand lors de la dĂ©tente. On peut dĂšs lors former l’hypothĂšse que la rĂ©pĂ©tition et la complexification de cette dialectique au cours de la performance est susceptible de faire croĂźtre l’intensitĂ© du plaisir jusqu’à ce maximum que reprĂ©sente le duende. 40 Cf. DONNIER Philippe, art. cit. 41 Les artistes disent souvent qu’il peut arriver que le jour oĂč ils se sentent bien, en pleine posses ... 20Il faut nĂ©anmoins prĂ©ciser deux points. D’abord, il n’y a pas d’exclusivitĂ© de la danse en ce domaine dans le flamenco l’analyse de cette dialectique s’appliquerait mutatis mutandis au rapport qu’entretiennent chant et guitare40. Pour rĂ©pondre Ă  une question posĂ©e en introduction, il ne s’agit donc pas d’un plaisir propre Ă  la danse. Ensuite, on peut remarquer que si cela suffisait Ă  causer le duende, on obtiendrait ainsi les moyens de le provoquer Ă  loisir. Or, le duende survient de façon imprĂ©visible on dit communĂ©ment ne pas savoir s’il va venir », ni comment41. Cela suggĂšre que le duende est contingent ou subjectif. Les propriĂ©tĂ©s de la performance ne semblent donc pas suffisantes Ă  son advenue. On peut mĂȘme se demander lesquelles seraient nĂ©cessaires. La danse, condition ni nĂ©cessaire ni suffisante du duende 42 Les Ă©motions peuvent bien entendu ĂȘtre vĂ©cues en silence. 43 ROUGET Gilbert, La musique et la transe [1980], Paris, Gallimard, tel », 1990, p. 58. 44 Dans les entretiens que nous avons menĂ©s avec des artistes, nombre d’entre eux affirment qu’ils ont ... 45 On considĂšre depuis Goldstein le frisson comme une mesure objective du plaisir GOLDSTEIN Avram, ... 21Pour le savoir, dĂ©taillons plus avant en quoi consiste le duende. Au vu des langages ordinaires et spĂ©cialisĂ©s, il existe de sĂ©rieuses raisons de penser que ce dernier, au moins quand il est manifeste42, prĂ©sente des signes qui s’apparentent Ă  ceux de la transe en vertu des critĂšres Ă©tablis par Gilbert Rouget43. La personne n’est pas dans son Ă©tat habituel des tĂ©moignages de spectateurs et d’artistes Ă©voquent la rĂ©vĂ©lation », la visitation », le choc », etc., ou encore l’altĂ©ration transitoire de la conscience, voire l’amnĂ©sie44. La relation avec le monde est perturbĂ©e sont Ă©prouvĂ©s un changement de perception de l’espace/temps, une sur-stimulation sensorielle, la sensation d’un au-delĂ . La personne connaĂźt des troubles neurophysiologiques fiĂšvre, frissons, chair de poule, etc.. Elle expĂ©rimente un accroissement rĂ©el ou imaginaire de ses facultĂ©s, par exemple la grande rapiditĂ© de la percussion de pieds chez le danseur. Enfin, cela se manifeste le plus souvent par des conduites observables du dehors effervescence, yeux exorbitĂ©s, pleurs, etc.. Certains signes, comme le frisson ou les tĂ©moignages verbaux, constituent des indicateurs de plaisir, voire d’un pic de plaisir45. Pour comprendre d’oĂč vient le duende, une voie Ă  suivre peut donc ĂȘtre celle de l’analyse des causes de la transe dans le flamenco. 46 La transe rĂ©sulte du choc vĂ©cu lorsqu’on entend inopinĂ©ment des paroles chantĂ©es correspondant ex ... 47 Entretien d’avril 2014, SĂ©ville. JosĂ© de la Tomasa est le petit-neveu de Manuel Torre, rĂ©putĂ© pour ... 48 ROUGET Gilbert, op. cit., p. 233. 49 ALVAREZ Germinal, Eva la robe de Grenade portrait d’Eva la Yerbabuena, Mezzo, 2004, documentaire, ... 22Gilbert Rouget a bien montrĂ© que, dans tous les cas, la musique joue un rĂŽle dans l’induction de la transe, mais qu’il n’existe pas de relation de cause Ă  effet entre musique et transe, aucune sorte de musique en particulier n’étant reconnue comme menant Ă  la transe de façon automatique. Cela s’appliquerait au flamenco. Selon Rouget, il existe trois conditions de possibilitĂ© de la transe qui font intervenir la musique. Soit la musique doit mettre en valeur un texte, qui va rĂ©sonner » avec la sensibilitĂ© du rĂ©cepteur46. InterrogĂ©s sur les Ă©motions fortes qu’ils ont Ă©prouvĂ©es dans le flamenco, certains spectateurs mettent celles-ci en relation avec le fait de s’ĂȘtre sentis compris » Ă  l’écoute de la letra. Le texte semble avoir fait Ă©cho Ă  leur situation existentielle. Soit encore la musique doit ĂȘtre chargĂ©e d’un sens qui la fait apparaĂźtre comme une devise pour l’auditeur. C’est l’effet que produit sur JosĂ© de la Tomasa l’écoute de la siguiriya, musique emblĂ©matique de la famille de chanteurs dont il est un descendant47. Soit enfin il faut que la musique entraĂźne le geste, autrement dit la danse, dont elle rĂšgle plus ou moins le rythme. En incitant Ă  danser, la musique est susceptible d’agir sur le rapport que le moi entretient avec lui-mĂȘme le mouvement, en modifiant le rapport des diffĂ©rentes parties du corps entre elles, transforme aussi la conscience du corps48. C’est Ă  une telle modification qu’Eva la Yerbabuena semble faire allusion lorsqu’elle dit se sentir effrayĂ©e par l’ autre49 » qu’elle devient sur scĂšne. 50 Pour Ă©vacuer toute confusion entre extase et transe, Rouget propose de spĂ©cialiser l’emploi de ce ... 23On peut dĂšs lors rĂ©pondre Ă  certaines des questions posĂ©es en introduction. Dans le flamenco comme ailleurs, la danse n’est qu’une technique d’induction en transe parmi d’autres, et n’intervient pas seule elle constitue avant tout un canal de transmission du plaisir musical. Elle n’est donc une condition ni nĂ©cessaire ni suffisante de la transe, c’est-Ă -dire aussi du duende. Mais on peut penser que, une fois la phase d’induction passĂ©e, c’est la danse qui sera le moyen privilĂ©giĂ© de dĂ©veloppement de la transe du fait qu’elle mobilise le corps de façon plus complĂšte que ne le font le chant ou la musique. La danse prĂ©sente en effet le mĂ©rite de mettre en jeu ce mouvement qui est le signe distinctif de la transe, par rapport Ă  l’extase qui a lieu dans l’immobilitĂ©50. Par ailleurs, nous avons abordĂ© auparavant la maniĂšre dont la perception du plaisir chez l’autre pouvait se transformer en sensation de plaisir chez soi. Dans le cas de la transe, la question semble ne pas se poser pour que celui qui reçoit la musique le danseur ou le spectateur soit en transe, nul besoin que le musicien le soit aussi. Ce qui est dĂ©terminant, c’est un facteur de ”rĂ©sonance culturelle“ entre la musique et son rĂ©cepteur. 24C’est donc avant tout la musique qui apparait comme dĂ©terminante du duende. À ce titre, la dialectique entre dĂ©mesure et mesure qu’instaure le jeu avec le rythme a son importance en ceci qu’elle vise particuliĂšrement Ă  bouleverser l’auditeur en jouant avec ses attentes. Elle alimente une culture de l’émotion. Mais le phĂ©nomĂšne de ”rĂ©sonance“ n’implique-t-il pas quelque chose de plus ou d’autre que celui de simple ”dialectique" ? Le duende, au-delĂ  de l’opposition entre mesure et dĂ©mesure 51 DEVAL FrĂ©dĂ©ric, Le flamenco et ses valeurs une identitĂ© en question », Actes du colloque Le fla ... 52 TĂ©moignages recueillis par nos soins auprĂšs de nombreux artistes, parmi lesquels AndrĂ©s MarĂ­n, Leon ... 25Tout porte Ă  croire que la rĂ©sonance » qui opĂšre dans le duende pourrait correspondre au sentiment d’unitĂ© que de nombreux aficionados disent ressentir Ă  ce moment. En effet, certains participants de la juerga ont l’impression de devenir les maillons d’une chaĂźne de rĂ©verbĂ©ration51 » Ă©motionnelle. En contexte scĂ©nique, certains artistes Ă©prouvent un sentiment d’ accord », de connexion », d’ absorption » ou de fusion52 » aux moments qu’ils identifient comme Ă©tant de » duende. Comme on l’a dit plus haut, certains spectateurs se sentent com-pris ». Ainsi les individus en transe auraient-ils l’impression que tout se fond ce qu’exprime le palo, ce qu’expriment les artistes et ce que, eux, ressentent. Leur plaisir semble maximal au moment oĂč ils Ă©prouvent la sensation d’appartenir Ă  un tout qui est parlant » au vu de leur culture, donc au moment oĂč ils ont l’impression que les pĂŽles de l’émetteur et du rĂ©cepteur s’échangent ou s’abolissent, ou encore, que l’interdĂ©pendance entre les diffĂ©rentes instances de la performance est la plus forte. DĂšs lors, le sentiment de plaisir le plus intense ou duende ne semble possible qu’au prix, non pas seulement d’une dialectique entre mesure et dĂ©mesure, mais bien d’un dĂ©passement de cette dialectique. La mesure qui rassemble le collectif comme la dĂ©mesure recherchĂ©e par l’individu, norme sociale et libertĂ© individuelle, font corps », ce Ă  quoi la danse contribue de façon particuliĂšre mais pas exclusive. 26On peut en conclure qu’il ne faut pas nier le rĂŽle certain et spĂ©cifique que joue la danse dans la production du plaisir flamenco. La danse flamenca libĂšre, exprime l’émotion musicale et constitue un moyen privilĂ©giĂ© de dĂ©velopper la transe. Mais il convient aussi de prendre la mesure d’un tel rĂŽle, contre tout exotisme qui verrait en elle le meilleur quoiqu’obscĂšne ou le seul moyen d’accĂ©der au plaisir, voire au duende. Haut de page Bibliographie ALVAREZ Germinal, Eva la robe de Grenade portrait d’Eva la Yerbabuena, Mezzo, 2004, documentaire, 46 minutes, DVD. BATAILLE Georges, La Part maudite, Paris, Les Éditions de Minuit, 1967. DÉCORET-AHIHA Anne, Les Danses exotiques en France 1880-1940, Pantin, Centre National de la Danse, 2004. DEVAL FrĂ©dĂ©ric, Le flamenco et ses valeurs une identitĂ© en question », Actes du colloque Le flamenco Ă  la question, 8 juin 2002, Fondation Royaumont [en ligne], page consultĂ©e le 27 mars 2018. DONNIER Philippe, Flamenco structures temporelles », Cahiers d’ethnomusicologie [en ligne], no 10, 1997, page consultĂ©e le 27 mars 2018. ESTÉBANEZ CALDERÓN SerafĂ­n, Escenas andaluzas, Madrid, ColecciĂłn de escritores castellanos, 1883. GARCÍA LORCA Federico, Jeu et thĂ©orie du duende [1930-1933], Paris, Allia, 2008. GOLDSTEIN Avram, Thrills in Response to Music and Other Stimuli », Physiological Psychology, vol. 8, n° 1, mars 1980, pp. 126-129. GÓMEZ-GARCÍA PLATA Mercedes, La juerga flamenca le plaisir du duende », in SALAÜN Serge, ÉTIENVRE Françoise dir., Les plaisirs en Espagne XVIIIe – XXe siĂšcle, Les travaux du CREC en ligne, no 1, octobre 2004, page consultĂ©e le 27 mars 2018. LEBLON Benard, Flamenco, Paris/Arles, CitĂ© de la musique/Actes Sud, 1995. 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EnquĂȘtes sur les valeurs de l’art, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2014, p. 111. 4 Le terme, ici, est pris au sens de l’Ɠuvre qui ne fait qu’une avec l’acte qui l’engendre. 5 Au sens courant, le duende dĂ©signe depuis le XVe siĂšcle un ĂȘtre mythologique au statut ambigu, Ă  la fois intermĂ©diaire entre les dieux et les hommes et capable de bienveillance comme d’hostilitĂ© ; suite Ă  un processus de mĂ©taphorisation, il en est venu Ă  revĂȘtir un sens esthĂ©tique, en particulier au sein du flamenco Cf. RIEGLER Anne-Sophie, Le duende, du terme au concept. GĂ©nĂ©alogie d’un ineffable », in LAUNAY Isabelle, PAGÈS Sylviane dir., Mobiles MĂ©moires et histoires en danse, no 2, Paris, L’Harmattan, 2011, pp. 403-420. MĂȘme ainsi, le mot comprend en rĂ©alitĂ© de multiples acceptions pouvoir artistique, esprit », gĂ©nie, Ă©tat second, etc.. Celle qui nous paraĂźt la plus proche du noyau conceptuel est celle de climax Ă©motionnel, ce que nos recherches en cours visent Ă  dĂ©montrer Cf. RIEGLER Anne-Sophie, Vers une dĂ©finition du duende dans le flamenco », communication donnĂ©e lors du colloque Le flamenco. Nouvelles approches artistiques et critiques, Grenoble, 1er et 2 dĂ©cembre 2016.. 6 Lors d’une performance, les accompagnateurs de Concha Vargas lui lancent ÂĄ Que tiene duende ! » Comme elle a du duende ! », 11’15, page consultĂ©e le 27 mars 2018. 7 Selon Pedro Peña, citĂ© par Bernard Leblon, dans Flamenco, Paris/Arles, CitĂ© de la musique/Actes Sud, 1995, p. 111. 8 Il s’agit d’une expĂ©rience de spectatrice menĂ©e depuis 2002 et de praticienne amateure de la danse flamenca 2002-2017. 9 La proprioception nous renseigne sur les positions, attitudes et mouvements de nos corps et de nos membres Cf. SHERRINGTON Charles Scott, The Integrative Action of the Nervous System, Londres, A. Constable, 1906. 10 Le plaisir de la dĂ©pense est avant tout le fait de celui qui bouge. Mais grĂące Ă  l’activitĂ© des neurones miroirs qui permet de simuler l’action chez le spectateur Cf. RIZZOLATTI Giacomo, SINIGAGLIA Corrado, Les Neurones miroirs [2006], Paris, Odile Jacob, 2011, ce dernier pourra Ă©prouver ce qu’on peut appeler une dĂ©pense simulĂ©e », d’intensitĂ© moindre par rapport Ă  celle, proprement vĂ©cue, du danseur. PrĂ©cisons cependant qu’il est contingent que le spectateur Ă©prouve un plaisir en lien avec celui du danseur. Partager l’état Ă©motionnel de quelqu’un au niveau visuo-moteur ne signifie pas ĂȘtre en empathie avec lui. ReconnaĂźtre le dĂ©goĂ»t et la souffrance des autres, Ă  quoi on pourrait aussi ajouter le plaisir, n’est pas la mĂȘme chose que les ressentir soi-mĂȘme [c]ertes, cela arrive souvent, mais ces deux processus sont distincts, au sens oĂč le second implique le premier, mais non l’inverse » Ibid., p. 201. Que le spectateur partage lui-mĂȘme le plaisir du danseur dĂ©pend de plusieurs facteurs, comme sa connaissance de celui-ci, leurs relations, sa capacitĂ© Ă  s’identifier Ă  lui, son dĂ©sir d’endosser sa situation Ă©motionnelle, etc. 11 WOLFF Francis, Pourquoi la musique ?, Paris, Fayard, 2015, p. 103. 12 ESTÉBANEZ CALDERÓN SerafĂ­n, Escenas andaluzas, Madrid, ColecciĂłn de escritores castellanos, 1883, p. 242. 13 Ibid. 14 Cf. DÉCORET-AHIHA Anne, Les danses exotiques en France 1880-1940, Pantin, Centre National de la Danse, 2004, pp. 33-34. 15 Cf. cette photo de Pastora GalvĂĄn et de Bobote page consultĂ©e le 27 mars 2018. 16 Battue du rythme par les mains et les pieds. 17 On exĂ©cute gĂ©nĂ©ralement des types de flamenco joyeux et rapides comme le tango, la bulerĂ­a et la rumba, propices Ă  l’improvisation. 18 C’est ce qu’on appelle la juerga de señoritos. 19 GÓMEZ-GARCÍA PLATA Mercedes, La juerga flamenca le plaisir du duende », in SALAÜN Serge, ÉTIENVRE Françoise dir., Les plaisirs en Espagne XVIIIe – XXe siĂšcle, Les travaux du CREC en ligne, no 1, octobre 2004, page consultĂ©e le 27 mars 2018. 20 Ibid. 21 BATAILLE Georges, La part maudite, Paris, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 115. 22 Ceux qui soutiennent le rythme par des battements de mains et de pieds. 23 L’espagnol dit para atrĂĄs », que l’andalou contracte en pa’trĂĄs ». 24 On parle par exemple de tocar para bailar » jouer pour danser ». 25 Une exception est le ballet flamenco » qui comprend un corps de ballet. On trouve aussi dans d’autres contextes, mais rarement, des performances de deux ou trois danseurs. 26 Percussion des pieds. 27 Ce caractĂšre mesurĂ© serait moins fort en l’absence de danse. La plupart des chants flamencos sont au dĂ©part non mesurĂ©s. Quand ils sont accompagnĂ©s de musique instrumentale, ils jouent avec la mesure Ă  laquelle tend Ă  les ramener la guitare, mais dont ils cherchent Ă  s’extraire de façon subtile. Cf. DONNIER Philippe, Flamenco structures temporelles », Cahiers d’ethnomusicologie [en ligne], n° 10, 1997, page consultĂ©e le 27 mars 2018. 28 WOLFF Francis, op. cit., p. 123. L’isochronie dĂ©signe alors la rĂ©gularitĂ© les intervalles entre les battements sont de mĂȘme durĂ©e. C’est Ă  la fois celle de la musique et celle de notre horloge interne. 29 Ibid. 30 Un palo dĂ©signe un type » de flamenco, comme par exemple la siguiriya, la bulerĂ­a, etc. Les palos ont Ă©tĂ© originairement dĂ©terminĂ©s par des types de chant. 31 WOLFF Francis, op. cit., p. 124. 32 Ibid. 33 GÓMEZ-GARCÍA PLATA Mercedes, art. cit., p. 237. La vidĂ©o suivante en serait une illustration Ă  partir de 0’08, page consultĂ©e le 27 mars 2018. 34 BATAILLE Georges, op. cit., p. 115. 35 Signalons cependant que les diffĂ©rences de genre s’estompent aujourd’hui. 36 DONNIER Philippe, art. cit., § 70. 37 MEYER Leonard B., Émotion et signification en musique [1956], Arles, Actes Sud, 2011. 38 Ce courant de la psychologie apparaĂźt Ă  la fin du XIXe siĂšcle en Allemagne et dĂ©fend l’idĂ©e que le plaisir naĂźt de l’arrĂȘt ou de l’inhibition d’une tendance. La meilleure preuve en serait qu’en l’absence de dĂ©lai dans la satisfaction de cette tendance, il n’y a que peu ou pas de plaisir. 39 MEYER Leonard B., op. cit., p. 73. 40 Cf. DONNIER Philippe, art. cit. 41 Les artistes disent souvent qu’il peut arriver que le jour oĂč ils se sentent bien, en pleine possession de leurs moyens, rien ne se passe, alors qu’un autre jour, oĂč la performance se prĂ©sente mal de prime abord, un moment particulier se produit. La formulation-type est Le duende vient quand il veut ». Cf. Interview de JosĂ© MercĂ©, in VARGAS Rafael, Tras las huellas del tiempo y de los mitos el flamenco visto por los flamencos, AlcalĂĄ de Guadaira, Editorial Guadalmena, 1995, p. 207. 42 Les Ă©motions peuvent bien entendu ĂȘtre vĂ©cues en silence. 43 ROUGET Gilbert, La musique et la transe [1980], Paris, Gallimard, tel », 1990, p. 58. 44 Dans les entretiens que nous avons menĂ©s avec des artistes, nombre d’entre eux affirment qu’ils ont vĂ©cu en dansant des moments d’absence Ă  eux-mĂȘmes, dont ils se souviennent sans pouvoir leur attribuer de contenu particulier, si ce n’est qu’ils les relient au sentiment de plaisir le plus intense de la performance. Les expressions les plus rĂ©currentes sont je ne savais plus oĂč j’étais » ; je ne sais pas ce que j’ai fait » ; ce n’est pas moi qui dansais ». 45 On considĂšre depuis Goldstein le frisson comme une mesure objective du plaisir GOLDSTEIN Avram, Thrills in Response to Music and Other Stimuli », Physiological Psychology, Vol. 8, n° 1, mars 1980, pp. 126-129. 46 La transe rĂ©sulte du choc vĂ©cu lorsqu’on entend inopinĂ©ment des paroles chantĂ©es correspondant exactement Ă  la situation dramatique oĂč l’on se trouve » ROUGET Gilbert, op. cit., p. 457. 47 Entretien d’avril 2014, SĂ©ville. JosĂ© de la Tomasa est le petit-neveu de Manuel Torre, rĂ©putĂ© pour ĂȘtre un trĂšs grand chanteur de siguiriya, et auteur de la phrase cĂ©lĂšbre Tout ce qui a des sonoritĂ©s noires a du duende » citĂ© par Federico GarcĂ­a Lorca dans Jeu et thĂ©orie du duende, Paris, Allia, 2008, p. 13. 48 ROUGET Gilbert, op. cit., p. 233. 49 ALVAREZ Germinal, Eva la robe de Grenade portrait d’Eva la Yerbabuena, Mezzo, 2004, documentaire, 46 minutes, DVD. 50 Pour Ă©vacuer toute confusion entre extase et transe, Rouget propose de spĂ©cialiser l’emploi de ces deux termes, de rĂ©server “extase” Ă  un certain type d’états, disons seconds, atteints dans le silence, l’immobilitĂ© et la solitude, et de dĂ©signer par “transe” ceux qui ne s’obtiennent que dans le bruit, l’agitation et la sociĂ©tĂ© des autres » op. cit., p. 47. 51 DEVAL FrĂ©dĂ©ric, Le flamenco et ses valeurs une identitĂ© en question », Actes du colloque Le flamenco Ă  la question, 8 juin 2002, Fondation Royaumont [en ligne], p. 5, page consultĂ©e le 27 mars 2018. 52 TĂ©moignages recueillis par nos soins auprĂšs de nombreux artistes, parmi lesquels AndrĂ©s MarĂ­n, Leonor Leal, El Torombo, ChloĂ© BrĂ»le-Dauphin, JosĂ© de la Tomasa, NoemĂ­ MartĂ­nez Chico, de page Pour citer cet article RĂ©fĂ©rence Ă©lectronique Anne-Sophie Riegler, Les plaisirs de la danse dans le flamenco », Recherches en danse [En ligne], Focus, mis en ligne le 24 avril 2018, consultĂ© le 29 aoĂ»t 2022. URL ; DOI de page

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